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Chose plus étonnante encore : justement afin que les propriétaires, libres d’abuser, n’abusent plus ; afin que l’État, le détenteur du grand domaine, devienne le type de l’administrateur, le modèle de l’usager. Nous avons démontré qu’en effet l’abus de la propriété se neutralise par les garanties dont l’État prend soin de l’entourer, de même que l’absolutisme de l’État se régularise, devient justice et vérité, par la réaction du propriétaire.

J’ai dit que la constitution de la propriété devait être l’œuvre de notre époque : jamais, en effet, depuis plus de vingt-cinq siècles qu’elle existe, elle ne s’est constituée nulle part dans la plénitude, je ne dis pas de son droit, mais de ses garanties. Rome a parfaitement connu et rigoureusement défini le droit de propriété, dominium est jus utendi et abutendi ; mais jusqu’à nos jours, l’abus a tué la propriété ; et, comme au temps des Césars, comme au moyen-âge, elle est de nouveau en péril. Ce qui lui a toujours manqué, et dont la Révolution n’a pu lui donner que la promesse, ce sont les garanties. Sans ces garanties précieuses, la propriété se désorganise et tend à sa ruine, entraînant avec elle la société et l’État, soit qu’elle s’oublie dans le matérialisme de sa jouissance, soit qu’elle se laisse miner sourdement par le fisc, l’hypothèque, le morcellement, la recomposition des grands domaines, la réglementation, l’abus de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les créations et les dotations nobiliaires, le travail des sectes, les séductions de l’agiotage, soit enfin que, dépouillée de sa prérogative