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Mais que dis-je ? Cet impôt du sang, qui pèse d’une manière si dure sur les masses, qui détruit à la longue les nationalités en épuisant et dépravant les races, est peut-être encore le moins impopulaire de tous. Partout le peuple a la guerre en estime presque autant que le culte : l’idée du combat lui donne la fièvre, la conquête lui sourit. Comme l’amoureux du Cantique des cantiques et comme Napoléon Ier, il ne trouve rien de si beau qu’une armée à la parade. La perte des hommes, les fleuves de sang, les charges contributives qu’entraîne la guerre, le touchent peu. Il faut aux masses de grandes émotions, de grands spectacles, de grandes pensées et de grandes choses : elles ne connaissent rien de comparable à la guerre. Tous les ans il y a en France cent mille papas et autant de mamans qui pleurent leurs fils enrôlés par la loi du sort : mais que sont les larmes de ces cent mille familles devant l’ébahissement de trente-six millions d’hommes ? Ce n’est pas tout de créer la paix, de ménager le sang et la richesse d’une nation ; il faut occuper la pensée de la multitude : or, à moins qu’on ne trouve le secret de la rendre tout entière savante et philosophe, à moins que l’ouvrier ne devienne maître, le fermier propriétaire et le prolétaire bourgeois, il n’y a rien qui ravisse et soutienne la pensée des masses comme la guerre. Que la démocratie se le dise donc : elle seule est capable, en transformant par l’éducation et la raison l’âme populaire, d’exonérer le peuple de la conscription et de l’affranchir de la caserne, pire que le carnage.