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monnaie, un capital dormant, une richesse hors de la consommation ; qu’en cette qualité d’instrument des échanges, l’or soit pris à son tour pour objet de spéculation, et serve de base à un immense commerce ; qu’enfin, protégé par l’opinion, couvert de la faveur publique, il conquière le pouvoir, et du même coup mette fin à la communauté ! Le moyen de détruire cette formidable puissance n’est donc pas d’en détruire l’organe, j’ai presque dit le dépositaire : c’est d’en généraliser le principe. Toutes ces propositions sont désormais aussi bien démontrées, aussi rigoureusement enchaînées l’une à l’autre, que les théorèmes de la géométrie.

L’or et l’argent, c’est-à-dire la marchandise première constituée en valeur, étant donc pris pour étalons des autres valeurs et instruments universels d’échange, tout commerce, toute consommation, toute production en dépendent. L’or et l’argent, précisément parce qu’ils ont acquis au plus haut degré les caractères de sociabilité et de justice, sont devenus synonymes de pouvoir, de royauté, presque de divinité. L’or et l’argent représentent la vie, l’intelligence et la vertu commerciales. Un coffre plein d’espèces est une arche sainte, une urne magique, qui donne à ceux qui ont le pouvoir d’y puiser la santé, la richesse, le plaisir et la gloire. Si tous les produits du travail avaient la même valeur échangeable que la monnaie, tous les travailleurs jouiraient des mêmes avantages que les détenteurs de la monnaie ; chacun posséderait dans sa faculté de produire une source inépuisable de richesse. Mais la religion de l’argent ne peut être abolie, ou, pour mieux dire, la constitution générale des valeurs ne peut s’opérer que par un effort de la raison et de la justice humaine : jusque-là, il est inévitable que, comme dans une société policée la possession de l’argent est le signe assuré de la richesse, la privation de l’argent soit un signe presque certain de misère. L’argent étant donc la seule valeur qui porte le timbre de la société, la seule marchandise d’aloi qui ait cours dans le commerce, l’argent est, comme la raison générale, l’idole du genre humain. L’imagination, attribuant au métal ce qui est l’effet de la pensée collective manifestée par le métal, tout le monde, au lieu de chercher le bien-être à sa véritable source, c’est-à-dire dans la socialisation de toutes les valeurs, dans la création incessante de nouvelles figures monétaires, s’est occupé exclusivement d’acquérir de l’argent, de l’argent, et toujours de l’argent.

Ce fut pour répondre à cette demande universelle de nu-