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parler ni de faire aucun signe, sans éprouver au dedans rien qui ressemblât au commandement ni à l’obéissance, nous travaillâmes avec un ensemble merveilleux, comme si tous nous eussions été à la fois principes et organes du mouvement. Et lorsque, vers le soir, nous fûmes peu à peu rendus à notre personnalité grossière, à cette vie de ténèbres où toute pensée est effort, toute liberté scission, tout amour sensualisme, toute société un ignoble contact ; nous crûmes que la vie et l’intelligence s’échappaient de notre sein par un douloureux écoulement.

La vie de l’homme est tissue de contradictions. Chacune de ces contradictions est elle-même un monument de la constitution sociale, un élément de l’ordre public et du bien-être des familles, lesquels ne se produisent que par cette mystique association des extrêmes.

Mais l’homme, considéré dans l’ensemble de ses manifestations et après l’entier épuisement de ses antimonies, présente encore une antimonie qui, ne répondant plus à rien sur la terre, reste ici-bas sans solution. C’est pourquoi l’ordre dans la société, si parfait qu’on le suppose, ne chassera jamais entièrement l’amertume et l’ennui : le bonheur en ce monde est un idéal que nous sommes condamnés à poursuivre toujours, mais que l’antagonisme infranchissable de la nature et de l’esprit tient hors de notre portée.

S’il est une continuation de la vie humaine dans un monde ultérieur, ou si l’équation suprême ne se réalise pour nous que par un retour au néant, c’est ce que j’ignore : rien, aujourd’hui, ne me permet d’affirmer l’un plus que l’autre. Tout ce que je puis dire est que nous pensons plus loin qu’il ne nous est donné d’atteindre, et que la dernière formule à laquelle l’humanité vivante puisse parvenir, celle qui doit embrasser toutes ses positions antérieures, est encore le premier terme d’une nouvelle et indescriptible harmonie.

L’exemple du crédit servira à nous faire comprendre cette reproduction sans fin du problème de notre destinée. Mais, avant d’entrer au fond de la question, disons quelques mots des préjugés généralement répandus sur le crédit, et tâchons d’en bien comprendre le but et l’origine.


§ I. — Origine et filiation de l’idée de crédit. — Préjugés contradictoires relatifs à cette idée.


Le point de départ du crédit est la monnaie.

On a vu au chapitre II comment, par un ensemble de