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de puissance à notre malice, et fait en même temps trop d’honneur à notre esprit. Je ne crois pas qu’une seule de nos institutions soit née d’une pensée mauvaise, pas plus que d’une erreur absolue ; et le comble de la sagacité humaine n’est pas d’inventer après coup des prétextes aux résolutions sociales, c’est de découvrir quels en ont été les véritables motifs. Le consentement universel s’est-il trompé en établissant autour de chaque peuple un cercle de garanties ? Si M. Dunoyer se fût posé la question dans ces termes, sans doute il eût été plus réservé dans sa réponse.

« Que le système donc ait eu ses raisons, cela n’est pas contestable : que de plus il n’ait pas empêché certains progrès, et même des progrès considérables, quoique infiniment moindres à coup sûr, et surtout moins heureusement dirigés que si les choses eussent pris un cours plus régulier et plus légitime, cela n’est pas davantage susceptible d’être contesté. »

M. Dunoyer, j’ai regret de le mettre en si mauvaise compagnie, raisonne juste comme les communistes et les athées. Sans doute, disent-ils, la civilisation a marché ; sans doute la religion et la propriété ont eu leurs raisons d’existence : mais combien plus rapides eussent été nos progrès, sans les rois, sans les prêtres, sans la propriété, fondement de la famille ; sans cet effroyable dogme de la chute et de la nécessité de combattre la chair !… Inutiles regrets : les prohibitions furent en leur temps, comme la propriété, la monarchie et la religion, partie intégrante et nécessaire de la police des états, et l’une des conditions de leur prospérité. La question n’est donc pas seulement de discuter les prohibitions en elles-mêmes, mais aussi de savoir si leur destinée est accomplie : à quoi sert d’être membre d’une Académie des sciences morales, politiques et historiques, si l’ont méconnaît ces principes de la critique la plus vulgaire ?

M. Dunoyer accuse ensuite la divergence des intérêts créés par le système protecteur. C’est prendre la chose à rebours. La divergence des intérêts n’est pas née de la protection ; elle dérive de l’inégalité des conditions du travail et des monopoles ; elle est la cause, non l’effet, de l’établissement des douanes. Est-ce que les dépôts houillers et ferrugineux n’existaient pas en Angleterre, comme les plaines à blé en Pologne, comme la vigne dans le Bordelais et en Bourgogne, avant que les peuples songeassent à se protéger les uns contre les autres ?