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mise de côté ; l’égoïsme substitué partout à l’intérêt social ; la solidarité des oisifs érigée sur les ruines de la solidarité des travailleurs ; la contradiction dans le principe ; et, par-dessus tout, les nationalités sacrifiées sur l’autel du privilége : voilà, si je ne me trompe, ce que nous avons fait ressortir, avec une évidence irrésistible, de la théorie du libre commerce.

Faut-il que je poursuive la réfutation de cette utopie, aux économistes si chère ? Ou je suis moi-même livré à la plus étrange hallucination, ou le lecteur impartial doit être maintenant fort désabusé, et l’argumentation des adversaires doit lui paraître si mesquine, si dépourvue de philosophie et de véritable science, que c’est à peine si j’ose encore citer des noms et des textes. J’ai peur que ma critique, à force d’évidence, ne devienne à la fin irrévérencieuse ; et plutôt que d’irriter, par une discussion publique, de respectables amours-propres, je préférerais mille fois les abandonner à la solitude de leurs remords.

Mais nous n’avons pas tout dit encore ; d’ailleurs l’opinion est si peu éclairée, l’autorité des noms est si puissante parmi nous, qu’on me pardonnera l’espèce d’acharnement avec lequel je suis forcé de combattre une école dont les intentions, je suis heureux de le reconnaître, sont excellentes, mais dont je soutiens que les moyens sont contradictoires et funestes.

M. Mathieu de Dombasles, l’un de nos meilleurs agronomes, avait très-bien aperçu la raison philosophique du régime protecteur ; et il avait combattu, avec un bon sens plein d’originalité et de verve, la théorie de J. B. Say. Sans doute, disait-il, M. Say aurait toute raison si les marchandises étaient simplement échangées, comme dans les sociétés primitives : mais elles ont été de part et d’autre vendues et achetées ; il y a eu de l’or et de l’argent pour appoint, et la monnaie a soldé la différence. Qu’importe donc le bon marché ? Du moment que nous ne payons pas nos achats en valeurs agricoles ou industrielles, mais avec nos métaux précieux, nous aliénons progressivement notre domaine, et devenons réellement tributaires de l’étranger. Car, pour que nous ayons toujours de quoi payer, il nous faudra racheter de l’or et de l’argent, ou laisser prendre hypothèque. Mais le premier parti est impossible par le commerce ; reste donc le second, qui est à proprement parler l’esclavage.

C’est contre cette déduction irréfutable, tirée des notions