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est détruit, et que sans l’équilibre il n’y a pas de richesse véritable ; — mais encore est une cause d’enchérissement et de disette, les économistes me feraient-ils l’honneur de lever ce nouveau scrupule ?

La France ne craint aucune concurrence pour ses vins : le monde entier les appelle. Sous ce rapport le Bordelais, le Champenois, le Bourguignon, ne peuvent que gagner à la liberté du commerce ; je conviens même que, notre industrie vinicole occupant un cinquième de la population du pays, la suppression totale des barrières se présente pour nous avec une grande apparence d’avantage. Les vignerons seront donc satisfaits : le libre commerce n’aura pas pour effet de faire baisser le prix de leurs vins ; tout au contraire, ce sera de les faire enrichir. Mais que penseront de cet enchérissement les laboureurs et les industriels ? La consommation par tête, qui n’est déjà que de 95 litres à Paris, descendra à 60 : on prendra le vin comme on prend le café, par demi-tasses et petits verres. Ce sera horrible pour des Français : nos vins, précisément parce qu’ils croissent sur le même sol que nous, nos vins nous sont plus nécessaires qu’à d’autres : le débouché extérieur va nous les enlever.

Or, quelle est la compensation qu’on nous offre ? Certes, ce ne sont pas les vins d’Angleterre et de Belgique ; ni ceux plus réels, mais non moins inaccessibles au peuple, de Porto, de Hongrie, d’Alicante ou de Madère ; ni les bières de Hollande, ni le petit-lait des chalets alpins. Que boirons-nous ? Nous aurons, disent les économistes, le fer, la houille, la quincaillerie, la toile, les cristaux, la viande, à meilleur marché : ce qui veut dire, d’un côté, que nous n’aurons plus de vin, de l’autre plus de travail, puisque, comme il a été démontré, ce n’est pas avec les produits de l’étranger que nous pouvons faire concurrence aux produits de l’étranger. Réciproquement, les ouvriers anglais verront baisser pour eux le prix du pain, du vin et des autres comestibles ; mais en même temps le prix de la houille, du fer, et de tous les objets que produit l’Angleterre, augmentera ; et comme, pour conserver leur travail en face de la concurrence étrangère, ils devront subir toujours de nouvelles réductions de salaires, il leur arrivera la même chose qu’aux ouvriers de France : ils ne pourront acheter ni leurs produits, ni les nôtres. Qui donc aura profité de la liberté ? Les monopoleurs, les seuls monopoleurs, les rentiers, tous ceux qui vivent du croit de leurs capitaux, en un mot, tous les faiseurs