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M. Bastiat, puisqu’à mes yeux elle est l’aphorisme de l’égalité même, et qu’en conséquence la condamnation du libre commerce, au sens que l’entendent les économistes, s’y trouve.

Ce n’est pas l’utilité gratuite de la nature que je dois payer, c’est le travail ! Telle est la loi de l’économie sociale, loi encore peu connue, restée jusqu’à ce jour enveloppée dans ces espèces de mythes qui par leurs oppositions la mettent peu à peu à découvert, division du travail, machines, concurrence, etc. M. Bastiat, vrai disciple de Smith, a supérieurement reconnu et dénoncé ce qui doit être, et par conséquent ce qui vient, quod fit ; il a complètement oublié ce qui est. Pour que la loi du travail, l’égalité dans l’échange, s’accomplisse sincèrement, il faut que les contradictions économiques soient toutes résolues ; ce qui signifie, relativement à la question qui nous occupe, que hors de l’association la liberté du commerce n’est toujours que la tyrannie de la force.

Ainsi, M. Bastiat explique très-bien comment l’usage de la scie est devenu pour tous un don gratuit. Mais il est certain qu’aujourd’hui, avec nos lois de monopole, si la scie était inconnue, l’inventeur prenant aussitôt un brevet, s’approprierait, autant qu’il serait en lui, le bénéfice de l’instrument. Or, telle est précisément la condition de la terre, des machines, des capitaux et de tous les instruments de travail ; et M. Bastiat part d’une supposition tout à fait fausse, ou, si l’on aime mieux, il anticipe illégitimement sur l’avenir, lorsque opposant la concurrence au monopole et les régions tropicales aux zones tempérées, il nous dit : « Si par un heureux miracle la fertilité de toutes les terres arables venait à s’accroître, ce n’est point l’agriculteur mais le consommateur qui recueillerait l’avantage de ce phénomène, car il se résoudrait en abondance, en bon marché. Il y aurait moins de travail incorporé dans chaque hectolitre de blé ; et l’agriculteur ne pourrait l’échanger que contre un moindre travail, incorporé dans tout autre produit.

Et plus loin :

« A est un pays favorisé, B est un pays maltraité de la nature. Je dis que l’échange est avantageux à tous deux, mais surtout à B, parce que l’échange ne consiste pas en utilités contre utilités, mais en valeurs contre valeurs. Or, A met plus d’utilité dans la même valeur, puisque l’utilité