Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce fantôme de capacité que nous nommons notre intelligence. Tel est le progrès de notre savoir : nous partons du sensible pour nous élever à l’abstrait ; l’échelle de notre raison a le pied sur la terre, traverse le ciel et se perd dans les profondeurs de l’esprit.

Renversons maintenant cette série, et figurons-nous la création comme une chute des idées de la sphère supérieure de l’intelligence dans les sphères inférieures du temps et de l’espace, chute pendant laquelle les idées, originellement pures, auront pris un corps ou substratum qui les réalise et les exprime. A ce point de vue toutes les choses créées, les phénomènes de la nature et les manifestations de l’humanité, nous apparaîtront comme une projection de l’esprit, immatériel et immuable, sur un plan tantôt fixe et droit, l’espace, tantôt incliné et mobile, le temps.

Il suit de là que les idées, égales entre elles, contemporaines et coordonnées dans l’esprit, semblent jetées pêle-mèle, éparpillées, localisées, subordonnées et consécutives dans l’humanité et dans la nature, formant des tableaux et des histoires sans ressemblance avec le dessin primitif : et toute la science humaine consiste à retrouver dans cette confusion le système abstrait de la pensée éternelle. C’est par une restauration de ce genre que les naturalistes ont retrouvé les systèmes des êtres organisés et inorganisés ; c’est par le même procédé que nous avons essayé de rétablir la série des phases de l’économie sociale, que la société nous fait voir isolées, incohérentes, anarchiques. Le sujet que nous avons entrepris est vraiment l’histoire naturelle du travail, d’après les fragments recueillis par les économistes ; et le système qui est résulté de notre analyse est vrai au même titre que les systèmes des plantes découverts par Linnée et de Jussieu, et le système des animaux par Cuvier.

Le moi humain manifesté par le travail, tel est donc le champ d’exploration de l’économie politique, forme concrète de la philosophie. L’identité de ces deux sciences, ou pour mieux dire de ces deux scepticismes, nous a été révélée dans tout le cours de ce livre. Ainsi la formation des idées nous est apparue dans la division du travail comme une division des catégories élémentaires ; puis, nous avons vu la liberté naître de l’action de l’homme sur la nature, et, à la suite de la liberté, se produire toutes les relations de l’homme avec la société et avec lui-même. En résultat, la science économique a été pour nous à la fois une ontologie, une logique,