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de la philosophie ? Le temps n’est pas éloigné, c’est mon espérance la plus chère, où les maîtres dans les sciences morales et politiques seront dans les ateliers et les comptoirs, comme aujourd’hui nos plus habiles constructeurs sont tous des hommes formés par un long et pénible apprentissage…

Mais à quelle condition peut exister une science ? A la condition de reconnaître son champ d’observation et ses limites, de déterminer son objet, d’organiser sa méthode. Sur ce point l’économiste s’exprime comme le philosophe : les paroles de M. Dunoyer, rapportées tout à l’heure, semblent littéralement extraites de la préface de Jouffroy à la traduction de Reid.

Le champ d’observation de la philosophie, c’est le moi ; le champ d’observation de la science économique, c’est la société, c’est-à-dire encore le moi. Voulez-vous connaître l’homme, étudiez la société ; voulez-vous connaître la société, étudiez l’homme. L’homme et la société se servent réciproquement de sujet et d’objet ; le parallélisme, la synonymie des deux sciences est complète.

Mais qu’est-ce que ce moi collectif et individuel ? quel est ce champ d’observation, où se passent des phénomènes si étranges ? Pour le découvrir, voyons les analogues. Toutes les choses que nous pensons nous semblent exister, se succéder ou s’agencer dans trois capacités transcendantes, hors desquelles nous n’imaginons et ne concevons absolument rien : ce sont l’espace, le temps et l’intelligence.

De même que tout objet matériel est conçu par nous nécessairement dans l’espace ; de même encore que les phénomènes, hés les uns aux autres par un rapport de causalité, nous paraissent se suivre dans le temps : ainsi nos représentations purement abstraites sont rapportées par nous à un réceptacle particulier, que nous nommons intellect ou intelligence.

L’intelligence est dans son espèce une capacité infinie, comme l’espace et l’éternité. Là s’agitent des mondes, d’innombrables organismes aux lois compliquées, aux effets variés et imprévus ; égaux, pour la magnificence et l’harmonie, aux mondes semés par le créateur à travers l’espace, aux organismes qui brillent et s’éteignent dans la durée. Politique et économie politique, jurisprudence, philosophie, théologie, poésie, langues, mœurs, littérature, beaux arts : le champ d’observation du moi est plus vaste, plus fécond, plus riche