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sociale n’a d’exemplaire dans la nature ; nous sommes forcés, pour des faits sans analogues, d’inventer sans cesse des noms spéciaux, de créer une nouvelle langue. C’est un monde transcendant, dont les principes sont supérieurs à la géométrie et à l’algèbre, dont les puissances ne relèvent ni de l’attraction ni d’aucune force physique, mais qui se sert de la géométrie et de l’algèbre comme d’instruments subalternes, et prend pour matériaux les puissances mêmes de la nature ; un monde enfin affranchi des catégories de temps, d’espace, de génération, de vie et de mort, où tout semble à la fois éternel et phénoménal, simultané et successif, limité et illimité, pondérable et impondérable... Que dirai-je plus ? c’est la création même, prise, pour ainsi dire, sur le fait !

Et ce monde, qui nous apparaît comme une fable, qui renverse nos habitudes judiciaires, et ne cesse de donner le démenti à notre raison ; ce monde qui nous enveloppe, nous pénètre, nous agite, sans que nous puissions le voir autrement que des yeux de l’esprit, le toucher que sur des signes, ce monde étrange, c’est la société, c’est nous !

Qui a vu le monopole et la concurrence, si ce n’est par leurs effets, c’est-à-dire par leurs signes ? qui a palpé le crédit et la propriété ? qu’est-ce que la force collective, la division du travail et la valeur ? Et cependant, quoi de plus fort, de plus certain, de plus intelligible, de plus réel que tout cela ? Regardez au loin ce char traîné par huit chevaux sur un terrain battu, et conduit par un homme vêtu de la blouse antique : ce n’est qu’une masse de matière, mue sur quatre roues par une forme animale. Vous ne découvrez là, en apparence, qu’un phénomène de mécanique, déterminé par un phénomène de physiologie, au delà duquel vous n’apercevez plus rien. Pénétrez plus avant : demandez à cet homme ce qu’il fait, ce qu’il veut, où il va ; en vertu de quelle pensée, de quel titre, il fait rouler cette voiture. Et tout à l’heure il vous montrera une lettre, son autorité, sa providence, comme il est lui-même la providence de son équipage. Vous lirez dans cette lettre qu’il est voiturier ; qu’en cette qualité, il opère le transport d’une certaine quantité de marchandises, à tant selon le poids et la distance ; qu’il doit opérer son trajet par telle route et dans tel délai, à peine de retenue sur le prix de son service ; que ce service implique de la part du voiturier responsabilité des pertes et avaries provenant d’autres causes que de la force majeure et du vice propre des objets ; que dans le prix de voiture est comprise ou n’est pas comprise l’assu-