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dessous du concubinage, par la polygamie et la servitude, que le Romain l’assimilait à l’amour paternel dans la loi qui fait entrer la mère dans la succession pour une part égale à celle de chacun de ses enfants. Le christianisme enfin a révélé au monde la forme la plus épurée de l’amour dans la virginité volontaire, qui n’est autre, suivant l’enseignement de l’Église, que l’union mystique de l’âme avec le Christ, c’est-à-dire une fiançaille perpétuelle.

Qu’est-ce en effet que l’homme adore dans sa mère, dans sa sœur, dans sa maîtresse, dans son épouse, dans sa fille ? C’est lui-même, c’est l’idéal de l’humanité, qui lui apparaît sous les formes les plus séduisantes et les plus tendres. La mythologie et le langage nous le révèlent. L’homme a féminisé toutes ses vertus ; il leur a voué un culte, non comme à des dieux, mais à des déesses. Thémis, Vénus, Hygie, Pallas, Minerve, Hébé, Cérès, Junon, Cybèle, les Muses, c’est-à-dire la justice, la beauté, la santé, la sagesse, l’éloquence, la jeunesse, l’agriculture (l’économie politique des anciens), la fidélité conjugale, la maternité, les sciences et les arts ! Le sexe de ces noms et de ces divinités montre mieux qu’aucune analyse, aucun témoignage, ce que dans tous les temps la femme a été pour l’homme.

Or, il est des âmes en qui le sens esthétique et l’amour qu’il engendre est si vif et si pur, qu’elles n’ont pour ainsi dire besoin d’aucune image ou réalité pour saisir l’idéal humain qu’elles adorent : ou plutôt cet idéal se révèle partout également à leurs yeux ; comme disait de lui-même le célèbre David, la laideur pour elles n’existe pas ; leur âme est trop haute, leur intelligence trop pure, pour qu’elles l’aperçoivent. Fénelon, Vincent de Paul, sainte Thérèse, tant de vierges et tant de saints ! Pour ces cœurs d’élite, un époux, une épouse, des enfants, sont choses superflues ; les formes visibles de l’amour sont au-dessous d’elles, ce sont des portraits qui les tourmentent plutôt qu’ils ne les aident ; elles jouissent de l’amour sans réaction. Le genre humain tout entier leur tient lieu de pères et de mères, et de frères et de sœurs, et d’époux et d’épouses, et de fils et de filles. Toute autre union leur serait une dégradation, un supplice.

Si l’on prétend que je subtilise, je reviens en arrière. Je m’attache à cette formidable loi de l’aggravation du travail, et je supplie qu’on veuille me dire ce qui adviendra de cet irrésistible progrès qui, nous poussant d’une force victorieuse à augmenter sans cesse notre capital et notre bien-être,