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L’homme qui n’a pas connu ces formes de l’amour, qui n’en distingue point les nuances, qui n’en saisit pas les délicatesses, cet homme-là ne connaît rien à l’amour : il n’en sait que le verbiage, il en raisonne comme les faiseurs de romans.

Ainsi le travail et l’amour se déroulent dans la vie humaine en périodes parallèles. Au premier âge, l’homme, tout entier à la sensation et à l’instinct, n’est point encore engagé comme travailleur ; il reçoit et ne rend pas, consomme et ne produit rien. Sensible seulement à l’amour de sa mère, il ne connaît aucun autre sentiment. L’amitié même, il l’ignore.

Bientôt il commence à raisonner ses affections ; il apprend les formes de la politesse, les éléments du savoir et du faire ; il est devenu étudiant et apprenti ; il a des camarades : et dans son âme fraîche éclose s’exhale le doux parfum de l’amour fraternel.

À cette période gracieuse de l’adolescence succède la jeunesse, âge poétique de l’émulation et des luttes gymastiques, comme des pures et timides amours. Quel souvenir, pour un cœur d’homme parvenu à l’arrière-saison, d’avoir été dans sa verte jeunesse le gardien, le compagnon, le participant de la virginité d’une jeune fille ! Le siècle a pris en pitié ces vraies voluptés ; le socialisme et la littérature romantique ont mis notre génération en rut ; la philosophe donne l’exemple, et les beaux-esprits femelles servent de matrones. Mais l’excès de la licence est lui-même une preuve de ce besoin d’idéal, hors duquel il n’est pour l’homme ni bonheur ni dignité. La société rêve sa métamorphose dans cette foule de descriptions érotiques, les unes ravissantes de pureté, les autres emportées comme la passion, mais toujours empreintes d’un raffinement merveilleux, par conséquent toujours moins grossières, moins matérielles. Voyez Georges Sand, martyre, à sa façon, de la pudeur qu’elle a foulée aux pieds. Courtisane comme Aspasie et panégyriste de la vertu comme Lucrèce, Georges Sand écrit Jeanne, et proteste, par cette réaction de son génie, contre les passions basses de ses impurs adorateurs...

Mais l’heure sonne où l’épouse doit être donnée à l’époux.… C’est la grande période du travail qui commence ; c’est le moment où l’homme jouit de la pleinitude de ses facultés, où l’amour fait vibrer toutes les cordes de son âme, où la présence des souvenirs lui rend sensibles toutes les