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les matériaux préparés de longue main à la confection et à l'entretien des machines. Il est l’espoir, le gage, pignus, de la société. Dans l’adolescence, il est apprenti ; dans la jeunesse, compagnon ; dans la virilité, maître ; dans la maturité, vétéran. Inutile d’ajouter que cette double évolution s’entend de la femme aussi bien que de l’homme.

Les formes de l’amour, de même que les grades dans l’industrie, sont exclusives et incompatibles : c’est-à-dire qu’elles ne peuvent ni exister simultanément dans le même individu, ni s’appliquer invariablement à la même chose, à la thème personne. Comme l’industriel parcourt successivement tous les éléments du travail, toutes les parties de la spécialité qui l’attire, de même il ne peut aimer à la fois, d’un amour caractéristique, que sa mère, sa sœur, sa maîtresse, sa femme ou sa fille ; et la personne qu’il aime à l’un de ces titres il ne l’aimera jamais à un autre. C’est la nature même qui a établi cette loi, en nous inspirant pour les amours redoublés une certaine répugnance qui leur a fait donner le nom d’incestes, c’est-à-dire impureté, fausse détermination de l’amour.

Tout amour éliminé par un autre rentre dans la catégorie générale de l’amitié, et se perd dans le torrent des affections.

L’homme qui épouse sa maîtresse (cas le plus ordinaire) fait, jusqu’à un certain point, exception à la règle, en ce sens qu’il aime deux fois de suite, d’un amour différemment caractérisé, la même personne ; mais non pas en ce sens qu’il pourrait vivre avec sa maîtresse comme avec son épouse, ce qui constitue l’espèce d’inceste appelé concubinage ou fornication simple, et qui est la plus grande profanation de la femme ; ni qu’il lui est facultatif d’aimer à deux endroits différents, ce qui constitue l’adultère. Du reste l’amour libre, cet amour qui naturellement précède l’union, n’a pas pour conséquence nécessaire le mariage : il est même meilleur pour la société et pour les personnes que ceux qui se marient aient ressenti plusieurs amours ; et cela suffit pour distinguer l’amour libre de l’amour conjugal, et les regarder l’un et l’autre comme incompatibles.

Un amour peut tenir lieu de tous les autres, et se prolonger au delà du terme fixé par la nature : tel est le célibataire qui conserve jusqu’à la vieillesse son amour filial ; tel est encore le père qui, devenu veuf avant le temps, concentre toutes ses affections sur la tête de son enfant.