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c’est cette tendance impérieuse, dont l’homme est averti dès le premier jour par la tiédeur de ses sens, et sur laquelle tant de gens se font si misérablement illusion, qu’a voulu exprimer le proverbe : Le mariage est le tombeau, c’est-à-dire l’émancipation de l’amour. Le peuple, dont le langage est toujours concret, a entendu ici par amour la violence du prurit, le feu du sang : c’est cet amour, entièrement physique, qui suivant le proverbe s’éteint dans le mariage. Le peuple, dans sa chasteté native et sa délicatesse infinie, n’a pas voulu révéler le secret de la couche nuptiale : il a laissé à la sagesse de chacun le soin de pénétrer le mystère, et de faire son profit de l’avertissement…

Il savait pourtant que le véritable amour commence pour l’homme à cette mort ; que c’est un effet nécessaire du mariage que la galanterie se change en culte ; que tout mari, quelque mine qu’il fasse, est au fond de l’âme idolâtre ; que s’il y a conspiration ostensible entre les hommes pour secouer le joug du sexe, il y a convention tacite pour l’adorer ; que la faiblesse seule de la femme oblige de temps à autre l’homme à ressaisir l’empire ; que sauf ces rares exceptions la femme est souveraine, et que là est le principe de la tendresse et de l’harmonie conjugales…

C’est un besoin irrésistible pour l’homme, besoin qui naît spontanément en lui du progrès de son industrie, du développement de ses idées, du raffinement de ses sens, de la délicatesse de ses affections, d’aimer sa femme comme il aime son travail, d’un amour spirituel ; de la façonner, de la parer, de l’embellir. Plus il l’aime, plus il la veut brillante, vertueuse, entendue ; il aspire à faire d’elle un chef-d’œuvre, une déesse. Près d’elle il oublie ses sens et ne suit plus que son imagination ; cet idéal qu’il a conçu et qu’il croit toucher, il a peur que ses mains ne le souillent ; il regarde comme rien ce qui autrefois, dans l’ardeur de ses désirs, lui semblait tout. Le peuple a une horreur instinctive, exquise, de tout ce qui rappelle la chair et le sang : l’usage de excitants bacchiques et aphrosidiaques, si fréquent chez les Orientaux, qui prennent l’aiguisement de l’appétit pour l’amour, révolte les races civilisées : c’est un outrage à la beauté, un contre-sens de l’art. De telles mœurs ne se produisent qu’à l’ombre du despotisme, par la distinction des castes et à l’aide de l’inégalité : elles sont incompatibles avec la justice…

Ce qui constitue l’art est la pureté des lignes, la grâce des