Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nomie sociale, s’en fait le centre et l’inspecteur. Toute spécialité dans le travail est donc, par la multitude et la variété des rapports, infinie. Il suit de là que c’est par un système de transitions centralisées et coordonnées, dans l’industrie, la science et l’art, que chaque travailleur doit apprendre à vaincre le dégoût et la répugnance au travail, et nullement par une variété d’exercices sans règle et sans perspective.

De même, par le mariage, l’amour se détermine et se personnalise : et c’est encore par un système de transitions toutes morales, par l’épuration des sentiments, par le culte de l’objet auquel l’homme a dévoué son existence, qu’il doit triompher du matérialisme et de la monotonie de l’amour.

L’art, c’est-à-dire la recherche du beau, la perfection du vrai, dans sa personne, dans sa femme et ses enfants, dans ses idées, ses discours, ses actions, ses produits : telle est la dernière évolution du travailleur, la phase destinée à fermer glorieusement le cercle de la nature. L’Esthétique, et au dessus de l’esthétique la Morale, voilà la clef de voûte l’édifice économique.

L’ensemble de la pratique humaine, le progrès de la civilisation, les tendances de la société, témoignent de cette loi. Tout ce que fait l’homme, tout ce qu’il aime et qu’il hait, tout ce qui l’affecte et l’intéresse, devient pour lui matière d’art. Il le compose, le polit, l’harmonie, jusqu’à ce que par le prestige du travail, il en ait fait, pour ainsi dire, disparaître la matière.

L’homme ne fait rien selon la nature ; c’est, si j’ose m’exprimer de la sorte, un animal façonnier. Rien ne lui plait s’il n’y apporte de l’apprêt : tout ce qu’il touche, il faut qu’il l’arrange, le corrige, l’épure, le recrée. Pour le plaisir de ses yeux, il invente peinture, architecture, les arts plastiques, le décor, tout un monde de hors-d’œuvre, dont il ne saurait dire la raison et l’utilité, sinon que c’est pour lui un besoin d’imagination, que cela lui plaît. Pour ses oreilles, il châtie son langage, compte ses syllabes, mesure les temps de sa voix. Puis il invente la mélodie et l’accord, il assemble orchestres aux voix puissantes et mélodieuses, et dans les concerts qu’il leur fait dire, il croit entendre la musique des sphères célestes et le chant des esprits invisibles. Que lui sert de manger seulement pour vivre ? il faut à sa délicatesse des déguisements, de la fantaisie, un genre. Il trouve presque choquant de se nourrir : il nu cède point à la faim, il transige avec son estomac. Plutôt que de paître sa nourri-