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plus de force qu’il ne lui en faut pour assurer sa déplorable postérité.

La chasteté est compagne du travail ; la mollesse est l’attribut de l’inertie. Les hommes de méditation, les penseurs énergiques, tous ces grands travailleurs, sont de capacité médiocre au service de l’amour. Pascal, Newton, Leibnitz, Kant et tant d’autres, oublièrent, dans leurs contemplations profondes, qu’il étaient hommes. Le sexe les devine : les génies de cette trempe lui inspirent peu d’attrait. Laisse là les femmes, disait à Jean-Jacques cette gentille Vénitienne, et étudie les mathématiques. Comme l’athlète se préparait aux jeux du cirque par l’exercice et l’abstinence, l’homme de travail fuit le plaisir, abstinuit venere et baccho. Mirabeau périt, malgré la force de sa constitution, pour avoir voulu joindre les prouesses de l’alcôve aux triomphes de la tribune.

Or, si c’est une loi de nécessité que nous devenions au travail toujours meilleurs que nos pères, il est d’une nécessité égale qu’aux jeux de l’amour nous ayons toujours moins de vaillance : comment la population ne se ressentirait-elle pas, à la longue, de cet inévitable refroidissement ?…

Mais, ne manquera-t-on pas de dire, ceci est encore de la contrainte, encore de la répression, encore de la mutilation. Quoi ! vous exténuez la nature, et vous appelez cela créer l’équilibre dans l’humanité ! Vous proscrivez chez les autres les moyens physiologiques, et vous revenez à la physiologie !… Non, ce n’est point avec un cercle de fer, comme le taureau et le verrat, que l’homme souffrira qu’on le mène ; c’est par la raison et la liberté. Épuisé par le travail, il ne ferait, en perdant la faculté d’aimer, que changer de misère. La Providence envers lui serait toujours coupable, la nature toujours marâtre. Qui vous garantit, d’ailleurs, l’efficacité de la recette ? Ce n’est pas le luxe en amour qui multiplie la population ; ce serait plutôt l’abstinence. Quelques heures de relâche rendent à la nature toute sa puissance ; trop longtemps comprimée, la passion éclate avec plus de furie, et il suffit à l’amour d’une étincelle pour fabriquer un homme. Il n’a servi de rien aux Bernard, aux Jérôme, aux Origène de vouloir dompter leur chair par le travail, le jeûne, les veilles, la solitude : cette fausse discipline a fait plus d’impudiques que le repos, la bonne chère et la conversation du sexe. Saint Paul, ce vase d’élection, ne s’écriait-il pas, au milieu de ses immenses fatigues : Je porte un démon avec moi qui me moleste ?…

À cette récrimination passionnée, il me semble entendre