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velles industries ; provoquer partout de plus grands efforts, de nouvelles dépenses ; et dites, s’il est possible, de quelle énorme quantité a dû s’accroître le travail primitif ?…

Il en est de toute entreprise industrielle, et des machines qui la représentent, comme de la terré. Pour la faire prospérer, il faut des capitaux toujours croissants, ce qui revient à dire que, sous peine de voir la richesse s’éteindre et le bien-être s’évanouir, il faut ajouter sans cesse à la tâche du travailleur. S’imaginer qu’à l’aide des machines nous puissions, en devenant riches, supprimer ou réduire notre travail, c’est chercher la perpétuité du mouvement là où elle ne peut exister, la perpétuité du mouvement dans des êtres inertes et sujets à une détérioration incessante ; c’est supposer des effets plus grands que leurs causes. De même que dans la nature rien ne se crée de rien, de même, dans l’ordre économique, l’homme ne produit que ce qu’il tire de son propre sein ; les bornes de sa vie sont aussi les bornes de sa fécondité[1].

Rendons cela d’une manière plus palpable. Soit la production annuelle de la France évaluée dix milliards de francs. Le franc étant pris pour unité métrique de comparaison des valeurs, la somme de travail par tête est 394. Or, la production ayant plus que doublé en France depuis cinquante ans, tandis que la population ne s’est pas seulement accrue de moitié, il s’ensuit que la France, devenue quatre fois plus riche, travaille quatre fois plus qu’elle ne faisait il y a cinquante ans. Non pas que ce quadruplement de labeur doive s’entendre d’un nombre quadruple de journées de travail, puisqu’il faut tenir compte des progrès de l’industrie et de la mécanique. Je dis que le travail a été quadruple, tant en intensité qu’en durée, que l’augmentation a porté tout à la fois sur l’âme et sur le corps, ce qui ne change rien à la

  1. On vient d’annoncer au monde scientifique les expériences d’un agronome anglais, desquelles il résulte qu’on peut doubler la quantité des engrais sur un terrain sans obtenir une récolte sensiblement plus forte. Il fallait vivre au dix-neuvième siècle pour avoir besoin d’une pareille démonstration. On ne fabrique pas un homme avec de la bouillie : il faut un sujet, un enfant, qui la consomme et la digère, et encore en une certaine mesure. De même, quand on prouverait qu’un homme rend assez d’excréments pour reproduire sa subsistance, on ne serait pas plus avancé : il faut de la terre. Semez du blé dans du fumier, vous en recueillerez moins que si vous le semiez dans une terre préparée ; encore vaudra-t-il moins. Pour augmenter le produit, il faut donc augmenter la surface cultivable, il faut augmenter le travail ; Les engrais, naturels ou artificiels, ne manqueront jamais.