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ressource que le sein de sa nourrice. Mais avec le bien-être que nous donne le travail, avec la domination que l’homme exerce sur les animaux, dont les femelles sont pour lui de si précieuses nourrices, la condition de la femme change, et c’est vraiment la faire rétrograder jusqu’à la brute que de la ramener à des lois abrogées par soixante siècles de civilisation. L’allaitement triennal est toujours une misère substituée à une autre misère : sous ce rapport, la théorie du docteur Loudon a aussi son immoralité.

Remarquons encore que cette théorie, née comme toutes les autres de la fausse hypothèse de Malthus, n’atteint pas mieux la difficulté qu’elle se propose de résoudre. Supposons pour un moment la coutume de l’allaitement triennal partout établie. La population reste stationnaire, c’est à merveille ; mais la misère va toujours son train, puisqu’elle a pour principe, non pas la population, mais le monopole, et qu’elle anticipe incessamment sur la production et le travail. Ainsi la misère continuant de dépeupler le monde, on serait bientôt forcé, pour réparer les pertes de la classe travailleuse, de favoriser la population par la précocité des mariages et l’abréviation de la période lactaire : ce qui nous met toujours sens dessus dessous.

Enfin, il est visible que le système de l’allaitement triennal laisse encore plus indécis le problème de la population dans ses rapports avec le globe. Car de deux choses l’une : ou bien, malgré les trois années de lactation, les femmes feraient toujours assez d’enfants pour que la population s’accrût, et dans ce cas où serait la limite de cet accroissement ? ou bien la population resterait stationnaire, deviendrait même rétrograde ; mais alors tout dans l’humanité devient stationnaire et rétrograde, et par ce stationnement, par cette rétrogradation, les rapports de l’humanité avec la planète qu’elle habite deviennent nuls, l’homme demeure étranger à la terre, ce qui est absurde.

En résumé, les solutions proposées pour le problème de la population, tant par les socialistes que par les économistes, parties d’une fausse hypothèse, et ne s’appuyant sur rien d’intime à la nature et d’essentiel à l’ordre économique, ces solutions sont toutes fausses, contradictoires, impraticables, impuissantes, immorales. Que l’homme découvre, dans sa sphère d’activité amoureuse, comme il s’imagine l’avoir trouvé dans sa sphère d’activité industrielle, le secret de jouir sans produire, et nous verrons dans l’amour, dans le