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Déjà l’on vous a fait voir que dans l’institution providentielle la production marche plus vite que la population : il est étonnant qu’au lieu de pleurer famine vous n’ayez point songé à tirer parti de cette loi pour votre thèse. En effet, sous un régime d’égalité, le travail allant plus vite que l’amour, vous eussiez pu demander comment, après quelques générations, la terre aurait-t-elle suffi à héberger les produits et loger tout le monde ? Peut-être, alors, nous fussions-nous contentés de répondre : Dieu est grand, et la Providence fertile en combinaisons. Il y a sans doute quelque chose qui en ce moment nous échappe : il serait étrange que notre sphère d’activité fût sans proportion avec notre pouvoir !… Faut-il donc qu’après avoir corrigé vos statistiques, nous redressions encore vos arguments ?

Ainsi l’économiste, qui tout à l’heure craignait de manquer de pain pour la population, rassuré de ce côté, va s’inquiéter pour le logement. Si pourtant, nous dira-t-il, faut-il mettre un terme à la population, puisqu’il est un terme à l’univers. Avec le doublement tous les vingt-cinq ans, il y aurait, dans moins de cinq siècles, un million de milliards d’hommes sur le globe, c’est-à-dire plus qu’il n’en faudra pour que, se tenant debout et se touchant tous, ils remplissent la terre ! Ne serait-ce point toujours une misère, misère plus intolérable peut-être que celle de la nudité et de la famine ?

Économiste, je vous arrête. La question que vous venez de poser, très-digne assurément des méditations du philosophe, n’est plus, comme tout à l’heure, entre la population et la production, elle est entre la population et le monde. Je prends acte de votre désistement. Convenons donc, avant d’aller plus loin :

Que le travail, ayant synthétisé et réglé tous ses organes, possède en lui-même la faculté de multiplier nos moyens d’existence en quantité toujours supérieure à nos besoins, et par conséquent d’accroître incessamment notre bien-être, quel que soit d’ailleurs l’accroissement de la population ;

Que la misère résulte exclusivement, dans l’état de civilisation, de l’antagonisme économique, de même qu’autrefois dans l’état sauvage elle résultait de la paresse ;

Qu’ainsi le paupérisme n’étant plus à craindre dans une société régulière, la seule question à résoudre est celle-ci : Quelle est la loi d’équilibre entre la population et le globe ?