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autres, celle du nord, avaient été adjugées à des étrangers. Cela est-il clair ? Des faits analogues se passent sur tous les points du territoire : presque toute la dette hypothécaire de l’Alsace est inscrite au profit des capitalistes bâlois, par l’entremise desquels le capital national exporté revient, sous l’estampille étrangère, asservir ceux qui jadis en étaient les propriétaires.

Les capitaux métalliques sont donc revenus, et ils ne sont pas revenus pour rien : on avoue cela. Or, contre quoi ont-ils été échangés à leur retour, c’est-à-dire prêtés ? Est-ce contre des marchandises ? Non, puisque notre importation est toujours supérieure à notre exportation ; puisque pour soutenir cette exportation telle quelle, nous sommes forcés de nous défendre encore de l’importation. C’est donc contre des rentes, contre de l’argent, puisque, si peu que rapporte l’argent, cet emploi de leurs capitaux est meilleur pour les étrangers que d’acheter nos marchandises, dont ils n’ont pas besoin, et qu’ils auront même à la fin, ainsi que notre argent. Donc nous aliénons notre patrimoine, et nous devenons chez nous les fermiers de l’étranger : comment comprendre après cela que plus nous importons, plus nous sommes riches ?

C’est ici, et le lecteur le comprendra sans peine, qu’est le nœud de la difficulté. Aussi, malgré l’attrait que peuvent avoir les faits dans une pareille polémique, ils doivent céder le pas à l’analyse : je demande donc la permission de me tenir pour quelque temps encore dans la théorie pure.

M. Bastiat, cet Achille du libre commerce dont la brusque apparition a ébloui ses confrères, méconnaissant le rôle souverain de l’argent dans l’échange, et confondant avec tous les économistes la valeur régulièrement oscillante de la monnaie avec les fluctuations arbitraires des marchandises, s’est jeté à la suite de Say dans un dédale d’arguties capable peut-être d’embarrasser un homme étranger aux rubriques commerciales, mais qui se débrouille avec la plus grande facilité au flambeau de la vraie théorie de la valeur et de l’échange, et ne laisse apercevoir bientôt que la misère des doctrines économiques.

« Voilà, dit M. Bastiat, deux pays, A et B. — A possède sur B toutes sortes d’avantages. Vous en concluez que le travail se concentre en A, et que B est dans l’impuissance de rien faire. »

Qui parle de concentration et d’impuissance ? Plaçons-