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Qui ne voit, du reste, que le bien-être de l’homme se composant d’abondance et de variété, ce que nous appelons luxe n’est au fond qu’une véritable épargne ? Le sauvage, qui vit de chair crue et de quelques boissons affreuses, épuisera eu un mois les ressources d’une lieue carrée de pays ; le civilisé, dont l’entretien exige un million de choses que ne connaît pas l’homme des bois, subsistera sur quatre hectares. Son luxe peut tenir dans un espace trois ou quatre mille fois plus petit qu’il ne le faut à la nudité du sauvage. Le luxe peut se définir physiologiquement l’art de se nourrir par la peau, par les yeux, par les oreilles, par les narines, par l’imagination, par la mémoire : l’indigence, c’est au contraire la vie réduite à une fonction unique, celle de l’estomac. Que dis-je ? il n’y a pas jusqu’à l’art culinaire, que Sénèque, dans son absurde hyperbole, appelait l’art de la gueule, qui, multipliant sous mille formes notre nourriture et nous enseignant à manger mieux, ne soit en réalité pour nous une source d’économies. La cuisine est, après le travail, notre plus précieux auxiliaire contre la disette ; et c’est justement parce que le prolétaire ne consomme pas assez qu’il mange trop, et se rend ainsi à charge à la grande famille.

J’ai donc le droit d’insister sur ma question : Comment notre richesse ayant quintuplé, notre population ne s’étant accrue que de 50 pour 100, y a-t-il encore parmi nous des pauvres ? Que l’on me réponde, avant de s’inquiéter de la postérité, et de chercher quel nombre d’habitants pourra tenir sur le globe !…

La taxe des pauvres en Angleterre était,

En 1801, de 4,078,891 liv. st, pour   8,872, 950 habit.
En 1818, de 7,870,801 —     — 11,978,875 —
En 1833, de 8,000,000 —     — 14,000,000 —

Est-il vrai, oui ou non, d’après cela, que le paupérisme anticipe ? Et la preuve que ces chiffres, d’ailleurs officiels, ont bien le sens que je leur donne, c’est que depuis 1833 on a essayé d’appliquer en Angleterre la théorie de Malthus, c’est-à-dire de laisser périr ceux qui ne possèdent ni revenu ni salaire ; qu’une première conséquence de cette idée a été la création des maisons de force, et finalement la réforme de la loi des céréales, c’est-à-dire la réduction arbitraire du prix du pain. On s’est imaginé que la suppression violente d’un monopole pouvait être d’un grand effet pour le soulagement de la misère : l’avenir dira ce que renfermait de rationnel et d’utile cette prestigieuse réforme. Mais les économistes, la