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Singulière économie que la nôtre, en vérité, où le dénument résulte continuellement de l’abondance, où l’interdiction du travail est une conséquence perpétuelle du besoin de travailler ! Si par un décret du souverain, cinq cent mille parasites, rayés tout à coup de la liste des improductifs, étaient renvoyés aux ateliers et à la charrue, au lieu d’une augmentation de bien-être, nous aurions une augmentation d’indigence. Il y aurait, pour la classe des improductifs, cinq cent mille personnes sans emploi et sans revenu ; pour la classe des entrepreneurs, propriétaires et chefs d’industrie, cinq cent mille pratiques de moins à servir ; pour la classe des travailleurs, déjà si multipliée, et dont le salaire est si bas, cinq cent mille concurrents de plus. Baisse de prix dans la main-d’œuvre, augmentation dans la masse des produits, et restriction du marché : pour le prolétariat, progrès d’abstinence et de servitude ; pour la propriété, progrès de luxe et d’orgueil, telles seraient les conséquences d’une réforme que la raison nous signale comme une mesure de salut public. Nous serions plus pauvres précisément parce que nous serions devenus plus riches, et l’on verrait les économistes, qui ne comprennent rien à leur grimoire, accuser l’imprudence des mariages, l’inopportunité des amours, que sais-je ? la gaillardise des époux !

En vain les faits se pressent, s’accumulent et crient de toutes parts contre l’économie politique : il semble que les écrivains qui les rapportent, les développent et les commentent, n’aient d’yeux que pour ne point voir, d’oreilles que pour ne point entendre, d’intelligence que pour dissimuler la vérité. La propriété, l’usure, l’impôt, la concurrence, les machines, la division parcellaire, refoulent la population avant qu’elle surabonde : l’économiste, occupé seulement de ce que deviendrait un million d’hommes qui n’auraient pour subsister que la ration de cinq cent mille, ne se demande pas pourquoi cinq cent mille ne peuvent vivre avec ce qui suffirait à un million. Sous Jean-le-Bon la France comptait douze millions d’habitants ; sous Louis XIV, seize millions ; sous Louis XVI, vingt-cinq millions ; aujourd’hui, trente-quatre millions. Il est constant qu’à toutes ces époques il y a eu des pauvres, une immense quantité de pauvres : les lois atroces, portées contre les pauvres, en rendent témoignage. Or, à laquelle de ces époques peut-on dire que la société française avait épuisé ses moyens ? La France, il y a dix siècles, pouvait vingtupler sa production ; le tiers-état