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trielles est inassignable, il est certain encore que de ce côté le travail jouit d’une fécondité illimitée, susceptible, par conséquent, de s’accélérer dans un degré inconnu.

Il semble donc que les machines aillent réparer le déficit causé par la division, et triompher de la misère. Il n’en est rien. Avec les machines commence la distinction de maîtres et de salariés, de capitalistes et de travailleurs. L’ouvrier, que la mécanique devait tirer de l’abrutissement où l’avait réduit le travail parcellaire, s’y enfonce de plus en plus : il perd avec le caractère d’homme la liberté, et tombe dans la condition d’un outil. Le bien-être augmente pour les chefs, le mal pour les subalternes ; la distinction des castes commence, et une tendance monstrueuse se déclare, celle qui consiste, en multipliant les hommes, à vouloir se passer d’hommes. Ainsi la gêne universelle s’aggrave : annoncée déjà par la division parcellaire, la misère entre officiellement dans le monde ; à partir de ce moment elle devient l’âme et le nerf de la société.

Est-ce donc la surproduction des hommes qui cause ici la misère, ou celle-ci n’est-elle pas plutôt le résultat d’une fausse manœuvre ? Le travail ne manque pas, puisque sur tous les points le besoin de subsister, par conséquent de travailler, se fait sentir, et que l’offre du travail est surpassée par la demande. Les subsistances ne manquent pas non plus, puisque de toutes parts on se plaint de l’engorgement des produits qui s’avilissent faute de débouchés, faute de gens qui les paient, faute de salaires.

Donc l’humanité, en revêtant sa barbarie vagabonde de formes civilisatrices, n’a fait que changer la misère de son inertie contre la misère de ses combinaisons ; l’homme périt par la division du travail qui décuple ses forces, et par la mécanique qui les centuple, comme il périssait jadis par le sommeil et la paresse. La cause première de son mal est toujours en lui ; or c’est cette cause qu’il faut vaincre, avant de crier contre le destin.

À ses tendances aristocratiques, la société oppose la liberté, la concurrence. Que se passe-t-il alors ? Ne le perdons pas de vue : ceux qui ont pris soin de nous en instruire, ce sont les économistes, les apôtres de la misère. La concurrence émancipant le travailleur produit un accroissement de richesse incalculable. On a vu, à la suite d’une révolution qui avait eu la liberté du travail pour objet, la misère, chez un peuple nombreux, refoulée pour toute une génération. Preuve