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comme la misère du sauvage dépend tout entière de l’engourdissement de ses facultés, la misère du civilisé eût pour cause unique un défaut d’ordre, il se pourrait alors que dans un état d’organisation parfaite, non-seulement la misère fût ajournée de nouveau pour un temps, mais qu’il existât une vertu spécifique qui rétablirait le niveau entre la population et la production, sans que la prudence humaine eût besoin d’intervenir d’aucune autre manière, et, par un artifice quelconque, de ramener l’équilibre.

On sent de quelle importance il est pour l’humanité de vérifier cette hypothèse. Si une telle hypothèse devenait vérité, la misère, et celle qui provient de l’inertie de l’homme, et celle qui a pour cause les vices de l’organisation industrielle, se trouverait indéfiniment écartée, et le problème de notre destinée, le problème de la destinée du monde, se présenterait sous une toute autre face.

Or, cette vérification importante, nous l’avons faite dans cet ouvrage, dont le sous-titre, Philosophie de la Misère, rappelle suffisamment l’esprit.

Le travail, avons-nous dit, est le principe de la richesse, la force qui crée, mesure et proportionne les valeurs. Mesurer et proportionner, c’est encore distribuer : le travail porte donc en soi une puissance d’équilibre en même temps que de fécondité, qui paraît devoir assurer l’homme contre toutes les chances de dénument.

Mais, pour devenir efficace, le travail a besoin de se déterminer et de se définir, c’est-à-dire de s’organiser : car, ainsi que nous l’avons remarqué mainte fois, il n’est pour les choses qu’une condition d’efficacité et de durée, comme il n’est pour les idées qu’une condition d’intelligibilité et de manifestation, c’est d’être définies. Tant que le travail n’est pas défini, tant que son organisation n’a pas reçu la dernière main, c’est une force vague et stérile, une idée inintelligible.

Quels sont donc les organes du travail ? En autres termes, quelles sont les formes par lesquelles le travail humain produit et constitue la valeur, et chasse la misère ? Car il appert suffisamment aujourd’hui que travail et misère sont opposés entre eux comme ordre et désordre, justice et spoliation, existence et néant.

Or, ces formes ou catégories du travail, nous en avons fait l’énumération et donné la critique. Ce sont : la division du travail, les machines, la concurrence, le monopole, l’état ou la centralisation, le libre échange, le crédit, la propriété et