Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/318

Cette page a été validée par deux contributeurs.

être atteint qu’en donnant à la population un accroissement plus rapide qu’aux subsistances. Et puisque la loi d’accroissement que nous avons reconnue n’a pas répandu les hommes trop rapidement sur la face du globe, il est assez évident qu’elle n’est pas disproportionnée à son objet. Le besoin de subsistance ne serait point assez pressant, et ne donnerait pas assez de développement aux facultés humaines, si la tendance qu’a la population à croître rapidement, sans mesure, n’en augmentait l’intensité[1]. »

J’ignore quel effet produiront sur l’esprit du lecteur ces diverses considérations. Quant à moi, je déclare qu’au point de vue de l’économie politique et au terme où nous sommes parvenus, ayant d’un côté la propriété qui nous égorge, de autre la communauté qui nous étouffe, je ne vois absolument rien à répondre. Les faits parlent trop haut pour qu’il soit permis de se faire illusion : la misère existe, c’est-à-dire que la subsistance est insuffisante, et le nombre des bouches à nourrir trop grand. Cela est incompréhensible, mais enfin cela est. Ce que nous venons d’ajouter n’en est que le commentaire.

Ainsi donc l’Être infini, en procédant à la création, s’est trouvé engagé dans une impasse ; et nous, l’Être progressif et prévoyant, nous portons la peine de son impuissance. La nécessité n’a pu se passer du hasard ; l’ordre se conserve par le désordre ; les êtres organisés ne jouissent pas, comme le monde inorganique, de la perpétuité du mouvement ; et bien qu’il n’y ait pas contradiction dans l’idée d’un bien-être permanent, par une inexplicable infirmité de la nature cette permanence est impossible. Notre joie se nourrit de pleurs ; la garantie de notre bien-être, c’est la misère. Que ce contraste semble impliquer pour la raison la nécessité d’un accord, on ne le nie pas ; mais cet accord, cette condition où le bien et le mal se résoudraient en un fait supérieur, où la découvrir ? comment la concevoir ? et que pouvons-nous imaginer au delà de ce dualisme, Souffrir ou jouir, Être ou n’être pas ? Le bonheur et la souffrance, de même que le moi et le non-moi, de même que l’esprit et la matière, sont les deux pôles du monde, au-dessus desquels il n’est plus de synthèse, plus d’idée, puisque sans eux le monde lui-même n’est pas. S’il est ainsi, qu’avons-nous à faire de chercher encore le secret de notre destinée ? À quoi bon le travail, et quel peut

  1. Malthus, p. 473, édition de Guillaumin.