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La société se meurt, la société est morte ! Les âmes qui pleurent le dieu Pan, parce qu’elles n’ont point encore reçu la foi de sa résurrection, sont tous nos orateurs et nos écrivains, expressions vivantes de l’humanité, organes de ses pressentiments et de ses douleurs : c’est un Lamennais, un Lamartine, un Michelet ; ce sont nos économistes, nos politiques et nos mystiques, Sismondi, Blanqui, Buret, Guizot, Thiers, Cormenin, O. Barot, Buchez, les RR. PP. Ravignan et Lacordaire, messeigneurs de Lyon et de Chartres, E. Sue, etc., etc.

Oui, vraiment, la société touche à sa fin. Pan, le grand dieu, est mort ; que les ombres des héros se lamentent, et que les enfers en frémissent. Pan est mort : la société tombe en dissolution. Le riche se clot dans son égoïsme, et cache à la clarté du jour le fruit de sa corruption ; le serviteur improbe et lâche conspire contre le maître : plus de dignité chez le riche, plus de modestie chez le pauvre, de fidélité nulle part. Le savant regarde la science comme une galerie souterraine qui le conduit à la fortune : il ne se soucie point de la science. L’homme de loi, doutant de la justice, n’en comprend plus les maximes ; le prêtre n’opère plus de conversions, il se fait séducteur ; le prince a pris pour sceptre la clef d’or ; et le peuple, l’âme désespérée, l’intelligence assombrie, médite et se tait. Pan est mort : je vous le dis comme Thamous et Malthus. La société est arrivée au bas : dépêchez vos pleurs ; et nous, disséqueurs, à qui est livré ce cadavre, procédons à l’autopsie.

Le phénomène le plus étonnant de la civilisation, le mieux attesté par l’expérience et le moins compris des théoriciens, est la misère. Jamais problème ne fut plus attentivement, plus laborieusement étudié que celui-là. Le paupérisme a été soumis à l’analyse logique, historique, physique et morale ; on l’a divisé par familles, genres, espèces, variétés, comme un quatrième règne de la nature ; on a disserté longuement de ses effets et de ses causes, de sa nécessité, de sa propagation, de sa destination, de sa mesure ; on en a fait la physiologie et la thérapeutique : les titres seuls des livres qui en ont été écrits empliraient un volume. À force d’en parler, on est parvenu à en nier l’existence ; et c’est à peine si, à la suite de cette longue investigation, l’on commence maintenant de s’apercevoir que la misère appartient à la catégorie des choses indéfinissables, des choses qui ne s’entendent pas.