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sentiment de la dignité et de l’indépendance personnelle, d’un bien-être individuellement et légitimement acquis. Le patelinage des couvents, d’où la religion avait eu soin d’exclure tout sentiment de personnalité et de propriété, était-il donc de la fraternité ? Non, non, ces frères-là étaient par eux-mêmes trop peu de chose pour qu’ils fissent estime les uns des autres ; et l’on a pu voir, par l’exemple des communautés religieuses, où l’humilité et l’abnégation étaient de règle, que la dégradation du moi entraîne toujours la ruine de la charité. Telle fut la grande erreur de ces instituteurs d’ordres, à qui Dieu fasse paix en considération de leur bon vouloir, mais dont le système est désormais jugé. La grossièreté, la fainéantise, la crapule des moines ont depuis des siècles passé en proverbe : tous ces vices des communautés religieuses, de celles-là même qui avaient fait du travail la partie essentielle de leur discipline, procédèrent de cette fausse théorie qui cherche la fraternité en dehors de la justice.

Au témoignage de l’histoire, la théorie ajoute ses preuves. Pour qu’une société de travailleurs pût se passer de justice et se soutenir uniquement par l’essor des affections, une chose serait nécessaire, sans laquelle la fraternité périrait à l’instant, savoir, l’infaillibilité et l’impeccabilité individuelle. Un homme a le projet de publier un livre. Qui fera les avances de papier, de composition, d’impression, de brochure, de vente et de port ? la communauté, sans doute, puisque rien n’appartient qu’à la communauté, que tous les instruments de travail, toutes les matières premières, tous les produits et les bénéfices sont à la communauté. Mais la communauté en imprimant cet écrit, s’expose à une dépense inutile : qui la garantira ? Nommera-t-on des censeurs pour l’examen des manuscrits ? La presse alors n’est plus libre. Soumettra-t-on l’impression aux suffrages ? Cela suppose que les votants connaissent le livre qu’il s’agit précisément de leur faire lire. Attendra-t-on que l’auteur ait recueilli un nombre suffisant d’abonnés ? Nous rentrons dans le système de la vente et de l’échange, du doit et de l’avoir y dans la négation de la communauté.

Que de difficultés insolubles ! que de contradictions ! Si la communauté est prudente, elle doit exiger pour elle-même une garantie, c’est-à-dire reconnaître une possession hors d’elle et prononcer sa propre dissolution. Si l’auteur est vraiment loyal est dévoué, il doit assumer sur lui seul la responsabilité de son œuvre, c’est-à-dire se séparer, par