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sans que la consommation le fût, en autres termes que la loi de division impliquait une loi de répartition, et que cette répartition, précédant par doit et avoir, synonymes de tien et de mien, était destructive de la communauté. Ainsi l’individualisme existe fatalement au sein de la communauté, dans la distribution des produits et dans la division du travail : quoi qu’elle fasse, la communauté est condamnée à périr ; elle n’a que le choix d’abdiquer entre les mains de la justice en résolvant le problème de la valeur, ou de créer, sous le couvert de la fraternité, le despotisme du nombre à la place du despotisme de la force.

Tout ce que le socialisme a jamais débité, depuis le meurtre d’Abel jusqu’aux fusillades de Rive-de-Gier, sur ce grand problème de l’organisation, n’a été qu’un cri de désespoir et d’impuissance, pour ne pas dire une déclamation de charlatan. Personne, aujourd’hui plus qu’hier, ni dans le socialisme, ni dans le parti propriétaire, n’a résolu les contradictions de l’économie sociale ; et tous ces apôtres d’organisation et de réforme, je ne fais que rapporter ici ce dont nous sommes mille fois convenus ensemble, mon cher Villegardelle, sont des exploiteurs de la crédulité publique, escomptant, au nom de la science à venir, le bénéfice d’une vérité vieille comme le monde, et dont ils ne savent pas même articuler le nom.

Le producteur sera-t-il libre ou non dans son travail ? A cette question si simple, le socialisme n’ose répondre : de quelque côté qu’il se tourne, il est perdu. La division du travail est enchaînée d’un lien indissoluble à la répartition mathématique des produits, la liberté du producteur à l’indépendance du consommateur. Otez la division du travail, la proportionnalité des valeurs, l’égalité des fortunes ; et le globe, capable de nourrir dix milliards d’hommes riches et forts, suffit à peine à quelques millions de sauvages ; ôtez la liberté, et l’homme n’est qu’un misérable forçat, traînant jusqu’au tombeau la chaîne de ses espérances trompées ; ôtez l’individualisme des existences, et vous faites de l’humanité un grand polypier.

Mais affirmez la division du travail, et la communauté disparaît avec l’uniformité ; affirmez la liberté, et les mystères de la police tombent avec la religion de l’état ; affirmez l’organisation, et la communauté des biens, dont l’inévitable conséquence est la communauté des personnes, n’est plus qu’un hideux cauchemar.