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d’état recevra des autres foyers de production ses fournitures de tout genre, calculées au prorata de ses besoins. Telle est la condition sine quâ non du travail et de l’équilibre : c’est, aurait dit Kant, l’impératif catégorique, le commandement absolu de la valeur.

Ainsi nous aurons à établir, au moins pour les ateliers, corporations, villes et provinces, une comptabilité. Pourquoi cette comptabilité, expression pure de la justice, ne s’appliquerait-elle pas aux individus aussi bien qu’aux masses ? Pourquoi la répartition, commencée aux grands corps de l’état, ne descendrait-elle pas aux personnes ? Est-ce que les travailleurs ont entre eux moins besoin de justice que la société ? Pourquoi s’arrêter dans la détermination du droit, alors que, pour rendre cette détermination complète, il ne reste plus à faire qu’une sous-division ? La raison de cet arbitraire, s’il vous plaît ? C’est, je répondrai pour vous, car vous n’oseriez pas l’avouer, c’est qu’avec une pareille comptabilité tout le monde étant libre, il n’y aurait plus de communauté. Qu’est-ce en effet qu’une communauté où le travail individuel s’apprécie, et la consommation par tête se compte ? Ainsi la communauté, comme toute société de commerce, ne peut se dispenser d’avoir des livres ; mais elle n’ouvre de comptes qu’aux corporations, elle n’en a pas pour les personnes. Un peu de justice lui est nécessaire, beaucoup de justice lui est funeste. La république fera ses inventaires ; ce sera un crime contre la sûreté de l’état de dresser le bilan d’un citoyen ! La nation et les provinces feront leurs échanges selon les lois absolues de la valeur : mais quiconque essaierait d’appliquer à lui-même et aux autres le même principe, serait considéré comme faux monnayeur et puni de mort. En personnifiant en lui la justice sociale, il aurait aboli la communauté !

Mais que dis-je ? le socialisme ne compte pas, il se refuse à compter. Ni plus ni moins que l’économie politique, il affirme l’incommensurabilité de la valeur. Sans cela, il comprendrait que ce qu’il poursuit à travers ses utopies est donné par la loi d’échange ; il chercherait la formule de cette loi ; et comme la théologie après qu’elle a découvert le sens de ses mythes, comme la philosophie après qu’elle a construit sa logique, le socialisme ayant trouvé la loi de la valeur, se connaîtrait lui-même et cesserait d’exister. Le problème de la répartition n’a été jusqu’à présent abordé de front par aucun écrivain socialiste : la preuve, c’est que tous ont conclu,