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s’abrutir ; la critique se réduit à d’insipides pantalonades ; toute philosophie expire.

N’est-ce point là ce que nous avons vu, il y a quelques mois, quand, pour n’en citer que ce seul exemple, un savant, ami du peuple, faisant profession d’enseigner l’histoire et le progrès, à travers un déluge de phrases élégiaques et dithyrambiques, n’a su exprimer sur la question sociale que ce pitoyable jugement :

« Quant au communisme, un mot suffit. Le dernier pays où la propriété sera abolie, c’est justement la France. Si, comme disait quelqu’un de cette école, La propriété c’est le vol, il y a ici vingt-cinq millions de propriétaires qui ne se dessaisiront pas demain. »

L’auteur de ce persiflage est M. Michelet, professeur au collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques ; et le Quelqu’un auquel il fait allusion, c’est moi. M. Michelet pouvait me nommer sans que je rougisse : la définition de la propriété est mienne, et toute mon ambition est de prouver que j’en ai compris le sens et l’étendue. La propriété c’est le vol ! il ne se dit pas, en mille ans, deux mots comme celui-là. Je n’ai d’autre bien sur la terre que cette définition de la propriété : mais je la tiens plus précieuse que les millions des Rothschild, et j’ose dire qu’elle sera l’événement le plus considérable du gouvernement de Louis-Philippe.

Mais qui donc a dit à M. Michelet que la négation de la propriété impliquât nécessairement le communisme ? Comment sait-il que la France est le dernier pays du monde où la propriété sera abolie ? Pourquoi, au lieu de vingt-cinq millions de propriétaires, n’a-t-il pas dit trente-quatre ? a-t-il vu que nous accusions les personnes, comme nous accusons les institutions ? Et lorsqu’il ajoute que les vingt-cinq millions de propriétaires qui possèdent la France ne se dessaisiront pas demain, qui lui donne le droit de supposer qu’on ait besoin pour cela de leur consentement ? En cinq lignes M. Michelet a eu le talent d’être cinq fois absurde : il tenait sans doute à réaliser la prédiction que j’ai faite autrefois contre quiconque essaierait à l’avenir de défendre la propriété. Mais que répondre à un homme qui, après quarante ans d’études sur l’histoire, en est venu, pour toute science, à prêcher au dix-neuvième siècle l’affranchissement par l’Instinct ?… Qu’un autre discute avec M. Michelet : quant à moi, je le renvoie à la chronologie.