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de mérite et démérite, de crédit et débit, de serviteur et maître, de proportion, de valeur, de concurrence, de monopole, d’impôt, d’échange, de division du travail, de machines, de douanes, de rente, d’hérédité, etc., etc., toutes les catégories, toutes les oppositions, toutes les synthèses nommées dès l’origine du monde dans le vocabulaire économique, sont contemporaines dans la raison. Et cependant, pour constituer une science qui nous soit accessible, ces idées ont besoin d’être échelonnées selon une théorie qui nous les montre s’engendrant l’une l’autre, et qui ait son commencement, son milieu et sa fin. Pour entrer dans la pratique humaine et se réaliser d’une manière efficace, ces mêmes idées doivent se poser en une série d’institutions oscillantes, accompagnées de mille accidents imprévus et de longs tâtonnements. En un mot, comme dans la science il y a la vérité absolue et trancendentale et la vérité théorique, de même dans la société il y a tout à la fois fatalité et providence, spontanéité et réflexion, la seconde de ces deux puissances travaillant constamment à supplanter la première, mais ne faisant toujours en réalité que la même besogne.

La fatalité est donc une forme de l’être et de l’idée ; la déduction, le progrès, une autre forme.

Mais fatalité, progrès, ce sont des abstractions de langage que ne connaît point la nature, en qui tout est réalisé ou n’est pas. Il y a donc, dans l’humanité, l’être fatal et l’être progressif, inséparables, mais distincts ; opposés, antagonistes, mais à jamais irréductibles.

En tant que créatures douées d’une spontanéité irréfléchie et involontaire, soumises aux lois d’un organisme physique et social, ordonné de toute éternité, immuable dans ses termes, irrésistible dans son ensemble, et qui s’accomplit et se réalise par développement et croissance ; en tant que nous vivons, grandissons et mourons, que nous travaillons, échangeons, aimons, etc., nous sommes l’être fatal, in quo vivimus, movemur et sumus. Nous sommes sa substance, son âme, son corps, sa figure, au même titre et ni moins ni plus que les animaux, les plantes et les pierres.

Mais en tant que nous observons, réfléchissons, apprenons et agissons en conséquence ; que nous nous soumettons la nature et devenons maîtres de nous-mêmes, nous sommes l’être progressif, nous sommes hommes. Dieu, natura naturans, est la base, la substance éternelle de la société ; et la société, natura naturata, est l’être fatal en perpétuelle émis-