Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

départ est dans les ténèbres de la sauvagerie, et qui expire le jour où la société s’élève à l’idée synthétique de la possession et de la valeur ; c’est cet ensemble de transformations et de révolutions instinctivement accomplies et qui cherche sa solution scientifique et définitive, que j’appelle la religion de la propriété.

Mais si la propriété, spontanée et progressive, est une religion, elle est comme la monarchie et le sacerdoce, de droit divin. Pareillement l’inégalité des conditions et des fortunes, la misère, est de droit divin ; le parjure et le vol sont d’institution divine ; l’exploitation de l’homme par l’homme est affirmation, que dis-je ? manifestation de Dieu. Les vrais théistes sont les propriétaires ; les défenseurs de la propriété sont tous les hommes craignant Dieu ; les condamnations à la mort et à la gêne, qu’ils exécutent les uns sur les autres par suite de leurs malentendus sur la propriété, sont des sacrifices humains offerts au dieu de la force. Ceux-là, au contraire, qui annoncent la fin prochaine de la propriété, qui provoquent avec Jésus-Christ et saint Paul l’abolition de la propriété ; qui raisonnent sur la production, la consommation et la distribution des richesses, sont les anarchistes et les athées ; et la société, qui marche visiblement à l’égalité et à la science, la société est la négation incessante de Dieu.

Démonstration de l’hypothèse de Dieu par la propriété, et nécessité de l’athéisme pour le perfectionnement physique, moral et intellectuel de l’homme, tel est l’étrange problème qui nous reste à résoudre. Peu de mots suffiront : les faits sont connus, notre preuve est faite.

L’idée dominante du siècle, l’idée aujourd’hui la plus vulgaire et la plus authentique est l’idée de progrès. Depuis Lessing, le progrès, devenu la base des croyances sociales, joue dans les esprits le même rôle qu’autrefois la révélation, qu’on dirait qu’il nie, tandis qu’il ne fait en réalité que la traduire. Le latin revelatio, de même que le grec apokalupsis, signifie mot à mot déroulement, progrès : mais l’antiquité religieuse voyait ce déroulement dans une histoire racontée, avant l’événement, par Dieu même, tandis que le raison philosophique des modernes le voit dans la succession des faits accomplis. La prophétie n’est pas l’opposé, elle est le mythe de la philosophie de l’histoire.

Le développement de l’humanité, telle est donc, mais avec une conscience de plus en plus large, notre idée la plus profonde et la plus compréhensive : développement du lau-