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premier rang, et le dogme se réduit à une formule par elle-même insignifiante et qui tire toute sa valeur de son contenu, savoir l’amour, ou plus décemment, la morale.

C’est pourquoi les vrais ennemis de la religion, ceux qui dans tous les temps travaillèrent le mieux à sa ruine, furent toujours ceux qui l’interprétaient avec le plus de zèle, lui cherchant un sens philosophique, et s’efforçant de la rendre raisonnable selon le vœu de saint Paul, l’un des premiers qui se livrèrent à cette œuvre impossible de l’accord de la raison avec la foi. Les vrais ennemis de la religion, dis-je, sont ces quasi-rationalistes qui prétendent la ramener à ce qu’ils nomment ses principes, sans s’apercevoir qu’ils la poussent à la tombe, et qui, sous prétexte d’affranchir la religion de la lettre qui tue, c’est-à-dire du symbolisme qui est son essence, et de l’enseigner selon l’esprit qui vivifie, en autres termes selon la raison qui doute et la science qui démontre, remaniant sans cesse la tradition, travestissant la foi, tordant le sens des écritures, arrivent, par une dégradation insensible du dogme, à la négation formelle du dogme. La religion, disent ces faux logiciens sur la foi d’une étymologie de Cicéron, la religion est le lien de l’humanité ; tandis qu’ils devraient dire, la religion est le signe, l’emblème de la loi sociale. Or, cet emblème s’effaçant tous les jours par les frottements de la critique, il ne reste que l’expectative d’une réalité, que la science positive seule peut déterminer et atteindre.

De même la propriété, une fois qu’on a cessé de la défendre dans sa brutalité originelle, et qu’on parle de la discipliner, de la soumettre à la morale, de la subordonner à l’état, en un mot de la socialiser, la propriété périclite, elle périt. Elle périt, dis-je, parce qu’elle est progressive ; parce que son idée est incomplète et que sa nature n’a rien de définitif, parce qu’elle est le moment principal d’une série dont l’ensemble seul peut donner une idée vraie, en un mot parce qu’elle est une religion. Ce qu’on a l’air de conserver, et qu’en réalité l’on poursuit sous le nom de propriété, n’est plus la propriété ; c’est une forme nouvelle de possession, sans exemple dans le passé, et que l’on s’efforce de déduire des principes ou motifs présumés de la propriété, en suite de cette illusion de logique qui nous fait toujours supposer à l’origine ou à la fin d’une chose ce qu’il faut chercher dans la chose même, savoir, sa signification et sa portée.

Mais si la propriété est une religion, et si, comme toute religion, elle est progressive, elle a, comme toute religion