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de la société, et en présence de témoins qui la représentent, l’amour est supposé libre et réciproque et la postérité prévue comme dans les unions fortuites ; la perpétuité de l’amour est souhaitée, provoquée, mais non garantie ; la volupté même est permise : toute la différence, mais cette différence est un abîme, est que dans le concubinage l’égoïsme seul préside à l’union, tandis que dans le mariage l’intervention de la société purifie cet égoïsme.

Et voyez les conséquences. La société, qui venge l’adultère et punit le parjure, ne reçoit pas la plainte du concubinaire contre sa concubine : de telles amours ne la regardent non plus que les accouplements des chiens, foris canes et impudici ! elle s’en détourne avec dégoût. La société rejette la veuve et l’orphelin du concubinaire, et ne les admet point à la succession ; à ses yeux la mère est prostituée, l’enfant, bâtard. Comme si elle disait à l’une : Vous vous êtes livrée sans moi ; vous pouvez vous défendre et vous pourvoir sans moi. À l’autre : Votre père vous a engendré pour son plaisir ; il ne me plaît pas de vous adopter. Celui qui fait injure au mariage ne peut réclamer la garantie du mariage : telle est la loi sociale, loi rigoureuse, mais juste, qu’il n’appartenait qu’à l’hypocrisie socialiste, à ceux qui veulent à la fois l’amour chaste et l’amour obscène, de calomnier.

Ce sentiment de l’intervention sociale dans l’acte le plus personnel et le plus volontaire de l’homme, ce respect indéfinissable d’un Dieu présent, qui augmente l’amour en le rendant chaste, est pour les époux une source d’affections mystérieuses, hors de là inconnues. Dans le mariage, l’homme est amant de toutes les femmes, parce que dans le mariage seul il ressent le véritable amour, qui l’unit sympathiquement à tout le sexe ; mais il ne connaît que son épouse, et en ne connaissant qu’elle il l’aime davantage, parce que sans cette exclusion charnelle le mariage disparaîtrait, et l’amour avec lui. La communauté platonique, redemandée avec un surcroît de facilités par les réformateurs contemporains, ne donne pas l’amour, elle n’en présente que le caput mortuum ; parce que, dans ce communisme des corps et des âmes, l’amour, ne se déterminant pas, reste à l’état d’abstraction et de rêve.

Le mariage est la vraie communauté des amours et le type de toute possession individuelle. Dans tous ses rapports avec les personnes et les choses, l’homme ne contracte véritablement qu’avec la société, c’est-à-dire, en définitive, avec lui-