Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de campagne ! La terre, divisée en mille cellules closes, traversée de longues galeries, la terre ne se trouve plus ; l’aspect des champs n’existe pour le peuple des villes qu’au théâtre et au musée : les oiseaux seuls contemplent du haut des airs le paysage réel. Le propriétaire qui paye bien cher une loge sur cette terre écharpée, jouit, égoïste et solitaire, du lambeau de gazon qu’il nomme sa campagne : hormis ce coin, il est expatrié du sol comme le pauvre. Que de gens peuvent se vanter de n’avoir jamais vu leur terre natale ! Il faut aller loin, dans le désert, pour retrouver cette pauvre nature, que nous violons d’une manière brutale, au lieu de jouir, chastes époux, de ses divins embrassements.

La propriété qui devait nous rendre libres, la propriété nous fait donc prisonniers. Que dis-je ? elle nous dégrade, en nous rendant valets et tyrans les uns des autres.

Sait-on bien ce que c’est que le salariat ? Travailler sous un maître, jaloux de ses préjugés autant et plus que de son commandement ; dont la dignité consiste surtout à vouloir, sic volo, sic jubeo, et à ne s’expliquer jamais ; que souvent on mésestime, et dont on se raille ! n’avoir à soi aucune pensée, étudier sans cesse la pensée des autres, ne connaître de stimulant que le pain quotidien, et la crainte de perdre un emploi ?

Le salarié est un homme à qui le propriétaire qui loue ses services tient ce discours : Ce que vous aurez à faire ne vous touche en rien : vous n’avez point à le contrôler, vous n’en répondez pas. Toute observation vous est interdite ; nul profit pour vous à espérer hormis votre salaire, nulle chance à courir, nul blâme à craindre.

Ainsi l’on dit au journaliste : Prêtez-nous vos colonnes, et même, si cela vous convient, votre ministère. Voici ce que vous avez à dire, et voici ce que vous avez à taire. Quoi que vous pensiez de nos idées, de nos fins et de nos moyens, défendez toujours notre parti, faites valoir nos opinions. Cela ne peut vous compromettre, ne doit point vous inquiéter : le caractère du journaliste, c’est l’anonyme. Voici, pour vos honoraires, dix mille francs et cent abonnements. Cela vous va-t-il ? Et le journaliste, comme le jésuite calomniateur, répond en soupirant : Il faut que je vive !

On dit à l’avocat : Cette affaire présente du pour et du contre ; c’est une partie dont je suis décidé à courir la chance, et pour laquelle j’ai besoin d’un homme de votre profession. Si ce n’est vous, ce sera votre confrère, votre