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dont la récompense toute gracieuse surpasse de beaucoup le prix courant des objets d’art ; qu’une quantité considérable des valeurs exposées est restée invendue ; qu’en dehors de cette foire une foule de fabricants travaillent à des prix fort inférieurs à la mercuriale de l’exposition ; que des observations analogues s’appliquent à la musique, à la danse, et à toutes les catégories de l’art : on trouvera que le salaire moyen de l’artiste n’atteint pas 1,200 fr., et que, pour la population artistique comme pour l’industrielle, le bien-être s’exprime par la formule écrasante de M. Chevalier, cinquante-six centimes par jour et par tête.

Et comme la misère ressort davantage par le contraste, et que la fonction de l’artiste est toute de luxe, il a passé en proverbe que nulle misère n’est égale à la sienne : Si est dolor, sicut dolor meus !

Et pourquoi cette égalité devant l’économie sociale des travaux d’art et d’industrie ? C’est que hors de la proportionnalité des produits il n’est pas de richesse, et que l’art, expression souveraine de la richesse qui est essentiellement égalité et proportion, est par cela même le symbole de l’égalité et de la fraternité humaine. En vain, l’orgueil se révolte, et crée partout ses distinctions et ses privilèges : la proportion reste inflexible. Les travailleurs demeurent entre eux solidaires, et la nature se charge de punir leurs infractions. Si la société consomme en choses de luxe 5 p. 100 de son produit, elle occupera à cette production le vingtième de ses travailleurs. La part des artistes, dans la société, sera donc nécessairement égale à celle des industrieux. Quant à la répartition individuelle, la société l’abandonne aux corporations : car la société qui réalise tout par l’individu, ne fait rien pour l’individu sans son consentement. Lors donc qu’un artiste prélève pour lui seul cent parts sur la rétribution générale, il y a quatre-vingt-dix-neuf de ses confrères qui se prostituent pour lui ou qui meurent sur la paille : ce calcul est aussi certain, aussi avéré, qu’une liquidation de la bourse.

Que les artistes le sachent donc : ce n’est pas, comme ils disent, l’épicier qui marchande, c’est la nécessité même qui a fixé le prix des choses. Si, à quelques époques, les produits de l’art ont été à la hausse, comme aux siècles de Léon X, des empereurs romains et de Périclès, cela tenait à des causes spéciales de favoritisme qui ont cessé d’exister. C’était l’or de la chrétienté, le tribut des indulgences, qui payait les artistes