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pect je saurai découvrir, bien que je n’aie jamais vu de statue, et que je sois du tout incapable d’en faire une. Si ces conditions ne sont pas remplies, quelque difficulté que vous ayez vaincue, quelque supérieur à ma profession que paraisse votre art, vous avez fait une œuvre inutile. Votre travail ne vaut rien : il ne remplit pas le but, et ne sert qu’à exciter mes regrets en manifestant votre impuissance. Car ce n’est point une comparaison de vous à moi qu’il s’agit d’établir ; c’est une comparaison entre votre travail et votre idéal. Me demanderez-vous, après cela, à quel prix vous devez prétendre en cas de réussite ? Je vous réponds que ce prix est nécessairement proportionné à mes facultés, et déterminé comme partie aliquote de mes dépenses. Or, quelle est cette proportion ? juste l’équivalent de ce que vous aura coûté la statue.

S’il était possible que l’artiste à qui l’on tiendrait un pareil langage en sentît la force et la justesse, c’est qu’alors la raison remplacerait en lui l’imagination ; il commencerait à n’être plus artiste.

Ce qui choque particulièrement cette classe d’hommes est qu’on ose mettre à prix leurs talents. A les entendre, le poids et la mesure sont incompatibles avec la dignité de l’art : cette manie de tout marchander est le signe d’une société en décadence, dans laquelle il ne se produira plus de chefs-d’œuvre, parce qu’on ne sait pas les reconnaître. Et c’est sur quoi je voudrais éclairer l’esprit des hommes d’art, non par des raisonnements et des théories qu’ils ne pourraient suivre, mais par un fait.

A la dernière exposition, 4,200 objets d’art ont été envoyés par environ 1,800 artistes. En portant à 300 fr., en moyenne, la valeur commerciale de chacun de ces objets (statues, tableaux, portraits, gravures, etc.), on est certain de ne pas rester fort au-dessous de la vérité. Soit donc une valeur totale de 1,260,000 fr., produit de 1,800 artistes. Supposez le déboursé pour marbre, toile, dorure, cadre, modèles, études, exercices, méditations, etc., à 100 fr. en moyenne, et le travail à trois mois, reste net 840,000 fr., soit 466 fr. 63 cent, par tête pour 90 jours.

Mais si l’on réfléchit que les 4,200 articles envoyés à l’exposition, et dont-près de moitié ont été éliminés par le jury, forment, au jugement des auteurs mêmes, le meilleur et le plus beau de la production artistique pendant l’année ; qu’une grande partie de ces produits consiste en portraits,