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Ainsi la propriété devient plus insociale à mesure qu’elle se distribue sur un plus grand nombre de têtes. Ce qui semble devoir adoucir, humaniser la propriété, le privilège collectif, est précisément ce qui montre la propriété dans sa hideur : la propriété divisée, la propriété impersonnelle, est la pire des propriétés. Qui ne s’en aperçoit aujourd’hui que la France se couvre de grandes compagnies, plus redoutables, plus avides du butin, que les bandes fameuses dont le brave Duguesclin délivra la France !…

Gardons-nous de prendre pour association la communauté de propriété. Le propriétaire-individu peut encore se montrer accessible à la pitié, à la justice, à la honte ; le propriétaire-corporation est sans entrailles, sans remords. C’est un être fantastique, inflexible, dégagé de toute passion et de tout amour, qui agit dans le cercle de son idée comme la meule dans sa révolution écrase le grain. Ce n’est point en devenant commune que la propriété peut devenir sociale : on ne remédie point à la rage, en faisant mordre tout le monde. La propriété finira par la transformation de son principe, non par une co-participation indéfinie. Et c’est pourquoi la démocratie, que quelques hommes, aussi intraitables qu’aveugles, s’obstinent à prêcher au peuple, système de la propriété universelle, est impuissante à créer la société.

De toutes les propriétés la plus détestable est celle qui a pour prétexte le talent.

Prouvez à un artiste, par la comparaison des temps et des hommes, que l’inégalité des œuvres d’art, aux différents siècles, provient surtout des mouvements oscillatoires de la société, du changement des croyances et de l’état des esprits ; que tant vaut la société, tant vaut l’artiste ; qu’entre lui et ses contemporains il existe une communauté de besoins et d’idées, de laquelle résulte le système de leurs obligations et de leurs rapports, tellement que le mérite comme le salaire peut être toujours rigoureusement défini ; qu’un temps viendra où les règles du goût, les lois de l’invention, de la composition et de l’exécution étant découvertes, l’art perdra son caractère divinatoire et cessera d’être le privilège de quelques natures exceptionnelles : toutes ces idées vont paraître à l’artiste excessivement ridicules.

Dites-lui : Vous avez fait une statue, et vous me proposez de l’acheter. Je le veux bien. Mais cette statue, pour être vraiment statue et pour que j’en donne le prix, doit réunir certaines conditions de poésie et de plastique qu’au seul as-