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ques, d’approuver ou désapprouver certains ouvrages, constitue au profit des évêques et des universitaires un monopole. Et si la loi, se contredisant elle-même, prétend l’empêcher, plus puissante que la loi, la force des choses le ramène sans cesse, et au lieu d’un gouvernement, nous n’avons plus que la vénalité et la fiction…

Un pauvre ouvrier ayant sa femme en mal d’enfant, la sage-femme, au désespoir, fut réclamer l’assistance d’un médecin. — Il faut 200 fr., dit le docteur, ou je ne bouge. — Mon Dieu ! repartit l’ouvrier, mon ménage ne vaut pas 200 fr. ; il faudra donc que ma femme meure, ou bien que nous allions tout nus, son enfant, elle et moi !

Cet accoucheur, que Dieu réjouisse ! était pourtant un digne homme, bienveillant, mélancolique et doux, membre de plusieurs sociétés savantes et charitables : sur sa cheminée un bronze d’Hippocrate, refusant les présents d’Artaxerce. Il était incapable de chagriner un enfant, et se serait sacrifié pour sont chat. Son refus ne venait pas de dureté : c’était tactique. Pour un médecin qui entend les affaires, le dévouement n’a qu’une saison : la clientèle acquise, la réputation une fois faite, on se réserve pour les riches payants, et, sauf les occasions d’apparat, on écarte les indiscrets. Où en serait-on, s’il fallait comme cela guérir les malades à tort et à travers ? Le talent, la réputation, sont des propriétés précieuses, qu’il faut exploiter, non gaspiller.

Le trait que je viens de citer est des plus bénins ; que d’horreurs, si je pénétrais à fond cette matière médicale ! Qu’on ne me dise pas qu’il est des exceptions : j’excepte tout le monde. Je fais la critique de la propriété, non des hommes. La propriété, dans Vincent de Paul comme dans Harpagon, est toujours atroce ; et jusqu’à ce que le service de la médecine soit organisé, il en sera du médecin comme du savant, comme de l’avocat, comme de l’artiste : ce sera un être dégradé par son propre titre, par le titre de propriétaire.

C’est ce que ne comprit pas ce juge, trop homme de bien pour son temps, qui, cédant à l’indignation de sa conscience, s’avisa un jour d’exprimer un blâme public sur la corporation des avocats. C’était une chose immorale, suivant lui, scandaleuse, que la facilité avec laquelle ces messieurs accueillent toutes sortes de causes. Si ce blâme, parti de haut, avait été soutenu et commenté par la presse, c’était fait peut-être du métier d’avocat. Mais l’honorable compagnie ne pouvait périr par un blâme, pas plus que la propriété ne peut