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propriétaire de cultiver, récolter, fabriquer sans conscience, elle se présente pour faire main-basse sur les fruits verts, répandre les terrines de lait mélangé, les tonneaux de bière et de vin sophistiqués, jeter à la voirie les viandes prohibées : le tout aux applaudissements des économistes et de la populace, qui veulent qu’on respecte la propriété, mais ne souffrent pas que l’échange soit libre. Hé, barbares ! c’est la misère du consommateur qui provoque le débit de ces impuretés. Pourquoi, si vous ne pouvez empêcher le propriétaire de mal agir, empêchez-vous le pauvre de mal vivre ? Ne vaut-il pas mieux qu’il ait la colique que de mourir de faim ?

Dites à cet industriel que c’est une chose lâche, immorale, de spéculer sur la détresse du pauvre, sur l’inexpérience d’enfants et de jeunes filles : il ne vous comprendra seulement pas. Prouvez-lui que par une surproduction téméraire, par des entreprises mal calculées, il compromet, avec sa propre fortune, l’existence de ses ouvriers ; que si son intérêt ne le touche, celui de tant de familles, groupées autour de lui, mérite considération ; que par l’arbitraire de ses faveurs il crée autour de lui le découragement, la servilité, la haine. Le propriétaire s’offense : Ne suis-je pas le maître ? dit-il en parodiant la légende ; et parce que je suis bon pour quelques-uns, prétendez-vous faire de ma bonté un droit pour tous ? Faut-il que je rende compte à qui doit m’obéir ? Cette maison est la mienne ; ce qu’il convient que je fasse pour la direction de mes affaires, moi seul en suis juge. Est-ce que mes ouvriers sont mes esclaves ? Si mes conditions leur déplaisent, et qu’ils trouvent mieux, qu’ils aillent ! Je serai le premier à leur faire compliment. Très-excellents philanthropes, qui donc vous empêche d’ouvrir des ateliers ? Faites, donnez l’exemple ; au lieu de cette vie délicieuse que vous menez en prêchant la vertu, montez une fabrique, mettez-vous à l’œuvre. Qu’on voie enfin par vous l’association sur la terre ! Quant à moi je repousse de toutes mes forces une telle servitude. Des associés ! plutôt la banqueroute, plutôt la mort !

Ainsi la propriété sépare l’homme de l’homme cent fois plus que ne faisait le monopole. Le législateur, dans une vue éminemment sociale, avait cru devoir donner à la possession de plus fortes garanties : et il se trouve qu’il a enlevé au travailleur jusqu’à l’espérance, en garantissant au monopoleur, à perpétuité, le fruit quotidien de ses rapines. Quel grand propriétaire n’abuse de sa force pour contraindre le