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Supposons que le propriétaire, par une libéralité chevaleresque, cède à l’invitation de la science, permette au travail d’améliorer et multiplier ses produits. Un bien immense en résultera pour les journaliers et campagnards, dont les fatigues, réduites de moitié, se trouveront encore, par l’abaissement du prix des denrées, payées double. Mais le propriétaire : Je serais bien sot, dit-il, d’abandonner un bénéfice si net ! Au lieu de cent journées de travail, je n’en payerai plus que cinquante : ce n’est pas le prolétaire qui profitera, c’est moi. — Mais alors, observez-vous, le prolétaire sera encore plus malheureux qu’auparavant, puisqu’il chômera une fois plus. — Cela ne me regarde pas, réplique le propriétaire. J’use de mon droit. Que les autres achètent du bien, s’ils peuvent, ou qu’ils aillent autre part chercher fortune, fussent-ils des milliers et des millions !

Tout propriétaire nourrit, au fond du cœur, cette pensée homicide. Et comme par la concurrence, le monopole et le crédit, l’invasion s’étend toujours, les travailleurs se trouvent incessamment éliminés du sol : la propriété est la dépopulation de la terre.

Ainsi donc la rente du propriétaire, combinée avec les progrès de l’industrie, change en abîme la fosse creusée sous les pieds du travailleur par le monopole ; le mal s’aggrave avec le privilège. La rente du propriétaire n’est plus le patrimoine des pauvres, je veux dire cette portion du produit agricole qui reste après que les frais de culture ont été acquittés, et qui devait servir toujours comme d’une nouvelle matière d’exploitation au travail, d’après cette belle théorie qui nous montre le capital accumulé comme une terre sans cesse offerte à la production, et qui, plus on la travaille, plus elle semble s’étendre. La rente est devenue pour le propriétaire le gage de sa lubricité, l’instrument de ses solitaires jouissances. Et notez que le propriétaire qui abuse, coupable devant la charité et la morale, demeure sans reproche devant la loi, inattaquable en économie politique. Manger son revenu ! quoi de plus beau, de plus noble, de plus légitime ? Dans l’opinion du peuple comme dans celle des grands, la consommation improductive est la vertu par excellence du propriétaire. Tous les embarras de la société proviennent de cet égoïsme indélébile.

Pour faciliter l’exploitation du sol, et mettre les différentes localités en rapport, une route, un canal est nécessaire. Déjà le tracé est fait ; on sacrifiera une lisière de ce côté, une