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talité de leur antagonisme ramène entre eux la discorde.

Tous les économistes signalent les inconvénients pour la production agricole du morcellement du territoire. D’accord en cela avec les socialistes, ils verraient avec joie une exploitation d’ensemble qui, opérant sur une large échelle, appliquant les procédés puissants de l’art et faisant d’importantes économies sur le matériel, doublerait, quadruplerait peut-être le produit. Mais le propriétaire, Veto, dit-il, je ne veux pas. Et comme il est dans son droit, connue personne au monde ne sait le moyen de changer ce droit autrement que par l’expropriation, et que l’expropriation c’est le néant, le législateur, l’économiste, le prolétaire, reculent avec effroi devant l’inconnu, et se contentent de saluer de loin les moissons promises. Le propriétaire est, par caractère, envieux du bien public : il ne pourrait se purger de ce vice, qu’en perdant la propriété.

La propriété fait donc obstacle au travail et à la richesse, obstacle à l’économie sociale : il n’y a plus guère que les économistes et les gens de loi que cela étonne. Je cherche comment je pourrais le leur faire entrer dans l’esprit d’un seul coup, sans phrases…

N’est-il pas vrai que nous sommes pauvres, n’ayant chacun que cinquante-six centimes et demi à dépenser par jour ?

— Oui, c’est la réponse de M. Chevalier. N’est-il pas vrai qu’un meilleur système agricole économiserait neuf dixièmes sur les frais de matériel, et donnerait quadruple produit ? — Oui, c’est la réponse de M. Arthur Young.

N’est-il pas vrai qu’il y a en France six millions de propriétaires, onze millions de cotes foncières, et cent vingt-trois millions de parcelles de terrain ? — Oui, c’est la réponse de M. Dunoyer.

Donc il s’en faut de six millions de propriétaires, onze millions de cotes foncières, et cent vingt-trois millions de parcelles, que l’ordre ne règne dans l’agriculture, et qu’au lieu de 56 centimes et demi par tête et par jour nous ayons 2 fr. 25 c, ce qui nous rendrait tous riches.

Et pourquoi ces cent quarante millions d’oppositions à la richesse publique ? Farce que le concert dans le travail détruirait le charme de la propriété ; parce que hors de la propriété notre œil n’a rien vu, notre oreille rien entendu, notre cœur rien compris ; parce qu’enfin nous sommes propriétaires.