Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre du colon et du rentier résulte pour la société le plus impartial arbitrage. A présent, l’effet moral de la propriété obtenu, reste à faire la distribution de la rente. Gardez-vous de convoquer des assemblées primaires, d’appeler vos orateurs et vos tribuns, de renforcer votre police, et, par cet appareil dictatorial, d’effaroucher le monde. Une simple mutualité d’échange, aidée de quelques combinaisons de banque, suffira… Aux grands effets les plus simples moyens : c’est la loi suprême de la société et de la nature.

La propriété est le monopole élevé à sa deuxième puissance ; c’est, comme le monopole, un fait spontané, nécessaire, universel. Mais la propriété a la faveur de l’opinion, tandis que le monopole est regardé avec mépris : nous pouvons juger, par ce nouvel exemple, que comme la société s’établit par la lutte, de même la science ne marche que poussée par la controverse. C’est ainsi que la concurrence a été tour à tour exaltée et bafouée ; que l’impôt, reconnu nécessaire par les économistes, déplaît pourtant aux économistes ; que le prêt à intérêt a été successivement condamné et applaudi ; que la balance du commerce, les machines, la division du travail ont excité tour à tour l’approbation et la malédiction publique. La propriété est sacrée, le monopole est flétri : quand verrons-nous la fin de nos préjugés et de nos inconséquences ?


§ III. — Comment la propriété se déprave.


Par la propriété, la société a réalisé une pensée utile, louable, d’ailleurs fatale : je vais prouver qu’en obéissant à une nécessité invincible, elle s’est jetée dans une hypothèse impossible. Je crois n’avoir oublié ou affaibli aucun des motifs qui ont présidé à l’établissement de la propriété ; j’ose dire même que j’ai donné à ces motifs un ensemble et une évidence jusqu’à ce moment inconnus. Que le lecteur supplée, du reste, ce qu’involontairement j’aurais pu omettre : j’accepte d’avance toutes ses raisons, et ne me propose nullement d’y contredire. Mais qu’ensuite il me dise, la main sur la conscience, ce qu’il trouve à répliquer à la contre-épreuve que je vais faire.

Sans doute la raison collective, obéissant à l’ordre du destin qui lui prescrivait, par une série d’institutions providentielles, de consolider le monopole, a fait son devoir ; sa conduite est irréprochable, et je ne l’accuse pas. C’est le