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fermier. La rente, comme toutes les valeurs, est assujettie à l’offre et à la demande ; mais, comme toutes les valeurs aussi, la rente a sa mesure exacte, laquelle s’exprime, au bénéfice du propriétaire et au préjudice du laboureur, par la totalité du produit, déduction faite des frais de production.

Par essence et destination, la rente est donc un instrument de justice distributive, l’un des mille moyens que le génie économique met en œuvre pour arriver à l’égalité. C’est un immense cadastre exécuté contradictoirement par les propriétaires et fermiers, sans collusion possible, dans un intérêt supérieur, et dont le résultat définitif doit être d’égaler la possession de la terre entre les exploiteurs du sol et les industriels. La rente, en un mot, est cette loi agraire tant désirée, qui doit rendre tous les travailleurs, tous les hommes, possesseurs égaux de la terre et de ses fruits. Il ne fallait pas moins que cette magie de la propriété pour arracher au colon l’excédant de produit qu’il ne se peut empêcher de regarder comme sien, et dont il se croit exclusivement l’auteur. La rente, ou pour mieux dire la propriété, a brisé l’égoïsme agricole et créé une solidarité que nulle puissance, nul partage de la terre n’aurait fait naître. Par la propriété, l’égalité entre tous les hommes devient définitivement possible ; la rente opérant entre les individus comme la douane entre les nations, toutes les causes, tous les prétextes d’inégalité disparaissent, et la société n’attend plus que le levier qui doit donner l’impulsion à ce mouvement. Comment au propriétaire mythologique succédera le propriétaire authentique ? Comment, en détruisant la propriété, les hommes deviendront-ils tous propriétaires ? Telle est désormais la question à résoudre, mais question insoluble sans la rente.

Car le génie social ne procède point à la façon des idéologues et par des abstractions stériles ; il ne s’inquiète ni d’intérêts dynastiques, ni de raison d’état, ni de droits électoraux, ni de théories représentatives, ni de sentiments humanitaires ou patriotiques. Il personnifie ou réalise toujours. ses idées : son système se développe en une suite d’incarnations et de faits, et pour constituer la société, il s’adresse toujours à l’individu. Après la grande époque du crédit, il fallait rattacher l’homme à la terre : le génie social institue la propriété. Il s’agissait ensuite d’exécuter le cadastre du globe : au lieu de publier à son de trompe une opération collective, il met aux prises les intérêts individuels, et de la