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priétaire est forcé d’épargner, de capitaliser et de s’ëtendre, c’est-à-dire de fournir toujours plus d’espace et de latitude au travail, en autres termes, de lui rendre en capitaux ce qu’il en reçoit en produits. Dans les prévisions du législateur, le propriétaire n’est pas plus digne d’envie que de pitié ; et l’homme qui sait se rendre utile, qui comprend que le travail fait partie intégrante de notre bien-être et que toute consommation abusive et désordonnée traîne à sa suite douleur et remords, qui voit la propriété, passant de main en main, accomplir sa loi sans égard pour le propriétaire qu’elle tue aussitôt qu’il lui est infidèle ; cet homme, dis-je, s’il ne considère en soi que le consommateur et n’aspire qu’à la justice, ne désire ni ne regrette la propriété.

C’est le mauvais usage de la rente qui, bien plus que les barbares, a perdu la société romaine et dépeuplé l’Italie. C’est cet abus qui a préparé au moyen âge la dépossession de la noblesse, dont le crédit fut ensuite l’instrument. C’est encore la même inintelligence de la propriété qui opère tous les jours tant de ruines, et transporte incessamment de l’un à l’autre la propriété. Ainsi, dès le premier moment de son évolution, la théorie de la rente acquiert une certitude mathématique inéluctable : la loi est impérieuse, malheur à qui ne sait la reconnaître ! La rente comme l’hérédité est fondée en raison et en droit : ce n’est point un privilège qu’il faut songer à détruire, c’est une fonction qu’il s’agit de rendre universelle. Les abus de consommation qu’on lui reproche, et dont elle n’est que le moyen, ne peuvent lui être attribués : ils viennent du libre arbitre de l’homme, et tombent sous le blâme du moraliste ; l’économie sociale n’a point à s’en occuper. Le désordre ici accuse l’homme : l’institution est irréprochable.

Nous touchons la seconde face de la question.

Si la rente est l’honoraire de la propriété, elle est une exaction sur la culture ; car, en conférant une rétribution sans travail, elle déroge à tous les principes de l’économie sociale sur la production, la répartition et l’échange. L’origine de la rente, comme de la propriété, est, pour ainsi dire, extra-économique : elle réside dans des considérations de psycologie et de morale, qui ne tiennent que de fort loin à la production de la richesse ; qui même renversent la théorie de la richesse ; c’est un pont jeté sur un autre monde en faveur du propriétaire, et sur lequel il est défendu au colon de le suivre. Le propriétaire est un demi-dieu ; le colon n’est toujours qu’un homme.