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nomies sociales, le curateur des capitaux formés par la rente. D’après la théorie que tout travail doit laisser après lui un excédant, destiné, partie à augmenter le bien-être du producteur, partie à améliorer le fonds productif, le capital peut se définir une extension par le travail du domaine que nous a donné la nature. La terre exploitable est renfermée dans d’étroites limites ; le globe entier ne nous paraît déjà que comme une cage où nous sommes détenus, sans savoir pourquoi ; une certaine quantité de provisions et de matériaux nous sont donnés, au moyen desquels nous pouvons embellir, étendre, chauffer et assainir notre étroite habitation. Toute formation de capital équivaut donc pour nous à la conquête d’un terrain ; or, le propriétaire, comme chef d’expédition, est le premier qui profite de l’aventure. En résultat, et malgré les immenses déperditions de capitaux qui arrivent par l’imprévoyance, la lâcheté ou la débauche des détenteurs, c’est ainsi que les choses se passent dans la société : la grande majorité des rentes est employée à ne nouvelles exploitations. La France va dépenser deux milliards en canaux et chemins de fer : c’est comme si elle ajoutait à son territoire la moitié d’un département. D’où vient cette extension merveilleuse ? de l’épargne collective, de la rente.

Il ne sert à rien de citer quelques exemples de fortunes colossales dont les revenus sont consommés improductivement par les titulaires, et qui s’effacent d’ailleurs devant la masse des fortunes moyennes : ces exemples, dont le scandale révolte le travail et fait murmurer l’indigence, mais dont la punition se fait rarement attendre, confirment la théorie. Le propriétaire qui, méconnaissant sa mission, vit seulement pour détruire sans prendre aucune part à la gestion de ses biens, ne tarde pas à se repentir de son indolence ; comme il ne met rien à l’épargne, bientôt il emprunte, il s’endette, il perd la propriété, et tombe à son tour dans la misère. La Providence outragée se venge à la fin d’une manière cruelle. J’ai vu des fortunes se faire et d’autres se défaire : et j’ai toujours observé que c’est un travail presque aussi difficile de conserver la propriété que de l’acquérir ; que cette conservation implique abstinence et économie, et qu’en définitive le sort du propriétaire, bon administrateur et sage économe, n’est guère au-dessus de celui du travailleur qui, à égalité de revenu, joint le même esprit de prévoyance et d’ordre. Consommation intégrale de la rente et conservation de la propriété sont choses qui s’excluent : pour conserver, le pro-