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Et c’est à toutes ces questions, si effrayantes par leur nombre, leur profondeur, leurs difficultés, leurs immenses détails, que la société répond par ce seul mot, la rente.

Afin de ne laisser aucun doute dans l’esprit du lecteur, je procéderai pour la rente comme j’ai fait dans le premier volume pour l’impôt. Je ferai voir que l’idée organique renfermée dans la constitution de la rente, se développe en trois moments consécutifs, dont le dernier, nécessairement lié aux deux autres, se résout en une opération de nivellement.

Et d’abord, qu’est-ce que la rente ?

La rente, avons-nous dit au chapitre VI, a la plus grande affinité avec l’intérêt. Toutefois elle en diffère essentiellement, en ce que l’intérêt n’affecte que les capitaux nés du travail et accumulés par l’épargne, tandis que la rente porte sur la terre, matière universelle du travail, substratum primordial de toute valeur.

Le propre du capital est de ne rendre qu’un intérêt à temps suffisant pour le reconstituer avec bénéfice ; la progression décroissante de l’intérêt, en dehors de toute démonstration théorique, l’atteste suffisamment. Ainsi, lorsque le capital est rare, que l’hypothèque est sans valeur et sans garantie, l’intérêt est perpétuel, et porte quelquefois à un taux exorbitant. A mesure que le capital abonde, l’intérêt diminue ; mais comme il ne peut jamais disparaître, comme il ne se peut que le prêt d’argent devienne un simple échange dans lequel tous les risques seraient pour les capitalistes et les bénéfices pour l’emprunteur, l’intérêt, arrivé à un certain taux, cesse de décroître et se transforme. De revenu perpétuel qu’il était, il devient remboursement avec prime et par annuités, et c’est alors que l’intérêt rentre dans le rôle que lui assigne la théorie.

Si donc le capital ou l’objet prêté se consomme ou périt par l’usage qu’on en fait, comme il arrive pour le blé, le vin, l’argent, etc., l’intérêt s’éteindra avec la dernière annuité ; si au contraire le capital ne périt pas, l’intérêt sera perpétuel.

La rente est l’intérêt payé pour un capital qui ne périt jamais, savoir, la terre. Et comme ce capital n’est susceptible d’aucune augmentation quant à la matière, mais seulement d’une amélioration indéfinie quant à l'usage, il arrive que, tandis que l’intérêt ou le bénéfice du prêt (mutuum) tend à diminuer sans cesse par l’abondance des capitaux, la rente tend à augmenter toujours par le perfectionnement de l’in-