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gnorance, genre d’argumentation sans autorité et sans portée.

N’est-il pas évident, en effet, que si les socialistes croyaient possible, à l’aide des moyens connus, de donner l’aisance et même le luxe à chaque ménage, ils ne se soulèveraient pas contre le ménage ? que s’ils pouvaient accorder les sentiments civiques avec les affections domestiques, ils ne condamneraient pas la famille ? que s’ils avaient le secret de rendre la richesse, non pas seulement commune, ce qui n’est rien, mais universelle, ce qui est tout autre chose, ils laisseraient les citoyens vivre en particulier aussi bien qu’en commum, et ne fatigueraient pas le public de leurs querelles de ménage ? De l’aveu des socialistes, le mariage, la famille, la propriété, sont choses qui contribuent puissamment au bonheur : le seul reproche qu’ils aient à faire, c’est qu’ils ne savent comment accorder ces choses avec le bien général. Est-ce là, je le demande, une argumentation sérieuse ? Comme s’ils pouvaient conclure de leur ignorance particulière contre le développement ultérieur des institutions humaines ! comme si le but du législateur n’était pas de réaliser pour chacun, non d’abolir, le mariage, la famille, la propriété !

Pour ne pas trop m’étendre, je me contenterai de traiter la question sous l’un de ses principaux aspects, l’hérédité. Nous généraliserons ensuite, Ab uno disce omnes, comme dit le poëte.

L’hérédité est l’espoir du ménage, le contrefort de la famille, la raison dernière de la propriété. Sans l’hérédité, la propriété n’est qu’un mot ; le rôle de la femme devient une énigme. A quoi bon, dans l’atelier commun, des ouvriers mâles et des ouvriers femelles ? Pourquoi cette distinction de sexes, que Platon, corrigeant la nature, tâchait de faire disparaître de sa république ? Comment rendre raison de cette duplicité de l’être humain, image de la dualité économique, véritable superfétation hors du ménage et de la famille ? Sans l’hérédité, non-seulement il n’y a plus d’époux ni d’épouses, il n’y a plus ni ancêtres ni descendants. Que dis-je ? il n’y a pas même de collatéraux, puisque, malgré la sublime métaphore de la fraternité citoyenne, il est clair que si tout le monde est mon frère, je n’ai plus de frère. C’est alors que l’homme, isolé au milieu de ses compagnons, sentirait le poids de sa triste individualité, et que la société, privée de ligaments et de viscères par la dissolution des familles et la