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et impuissantes, la nation s’est donne des ressources immenses, qui lui ont permis tour à tour de subvenir aux dépenses de ses victoires et de payer les frais de ses revers. C’est encore la propriété qui aujourd’hui soutient le moral de notre société, et met une barrière à la dissolution incessante de l’agiotage. Le commerçant, l’industriel, le capitaliste même, ont toujours en vue la propriété : c’est dans la propriété que tous aspirent à se reposer des fatigues de la concurrence et du monopole…

2° Mais c’est surtout dans la famille que se découvre le sens profond de la propriété. La famille et la propriété marchent de front, appuyées l’une sur l’autre, n’ayant l’une et l’autre de signification et de valeur que par le rapport qui les unit.

Avec la propriété, commence le rôle de la femme. Le ménage, cette chose toute idéale et que l’on s’efforce en vain de rendre ridicule, le ménage est le royaume de la femme, le monument de la famille. Otez le ménage, ôtez cette pierre du foyer, centre d’attraction des époux, il reste des couples, il n’y a plus de familles. Voyez, dans les grandes villes, les classes ouvrières tomber peu à peu, par l’instabilité du domicile, l’inanité du ménage et le manque de propriété, dans le concubinage et la crapule ! Des êtres qui ne possèdent rien, qui ne tiennent à rien et vivent au jour le jour, ne se pouvant rien garantir, n’ont que faire de s’épouser encore : mieux vaut ne pas s’engager que de s’engager sur le néant. La classe ouvrière est donc vouée à l’infamie : c’est ce qu’exprimait au moyen âge le droit du seigneur, et chez les Romains l’interdiction du mariage aux prolétaires.

Or, qu’est-ce que le ménage, par rapport à la société ambiante, sinon tout à la fois le rudiment et la forteresse de la propriété ? Le ménage est la première chose que rêve la jeune fille : ceux qui parlent tant d’attraction, et qui veulent abolir le ménage, devraient bien expliquer cette dépravation de l’instinct du sexe. Pour moi, plus j’y pense, et moins je puis me rendre compte, hors de la famille et du ménage, de la destinée de la femme. Courtisane ou ménagère (ménagère, dis-je, et non pas servante), je n’y vois pas de milieu : qu’a donc cette alternative de si humiliant ? En quoi le rôle de la femme, chargée de la conduite du ménage, de tout ce qui se rapporte à la consommation et à l’épargne, est-il inférieur à celui de l’homme, dont la fonction propre est le commandement de l’atelier, c’est-à-dire le gouvernement de la production et de l’échange ?